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Colombie : l’étau de la violence

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© Israel Fuguemann

L’essentiel

LA SITUATION

Les populations indigènes installées le long du fleuve San Juan, dans la région du Nord Cauca, n’ont pas accès aux centres de santé. Depuis avril 2022, Médecins du Monde vient à elles à bord du bateau-hôpital San Raffaele, en partenariat avec la Fundacion Italocolombiana Monte Tabor (FICMT).

Enjeux

Assurer une prise en charge et des soins de santé pour des populations isolées et que le conflit armé prive d’accès aux soins et à d’autres besoins essentiels.

Nos actions

  • Une mission par mois : le bateau sillonne différentes zones du fleuve San Juan pendant deux ou trois semaines.
  • Soins de santé primaires
  • Soins de santé mentale
  • Médiation en santé : ateliers collectifs dans les communautés pour aborder différents thèmes comme la contraception, la santé mentale, les maladies liées à l’eau, etc.
  • Formation des promotrices de santé de différentes communautés

Le personnel à bord

En tout, 32 personnes composent l’équipe du bateau-hôpital. L’équipe médicale comprend des infirmières, des psychologues, des gynécologues, des médecins, des sages-femmes, un accueillant, des laborantins et des médiateurs en santé.

Malgré les accords de paix signés en 2016 entre le gouvernement et les Farc, la Colombie est toujours en proie à des affrontements violents entre groupes armés. Ces violences impactent fortement les populations rurales, très isolées, en majorité indigènes et afro-descendantes, soumises à des déplacements, des recrutements forcés, des confinements arbitraires, des tirs croisés, à l’exploitation humaine. À bord d’un bateau-hôpital, Médecins du Monde accompagne le partenaire FICMT pour proposer des soins au plus près de ces communautés.

Le long du fleuve San Juan, au sein de la communauté de Buenavista, des femmes sont réunies dans une maison sur pilotis.

Tout en s’occupant des enfants, elles écoutent avec attention Jasir Banguero. Le médiateur interculturel anime un atelier collectif autour de la question du genre à l’occasion de la journée mondiale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. La conversation tourne autour des diverses tâches qui incombent aux femmes et aux hommes dans la communauté. Il a demandé aux participantes de se répartir par petits groupes pour dessiner et illustrer la répartition des rôles, point de départ d’une discussion plus large sur la vie de la communauté. « Cela m’aide à mieux connaître leur mode de vie et les relations au sein de la communauté de Buenavista, explique-t-il. Mon rôle est de faire de la promotion en santé, de la prévention mais aussi d’essayer de parler de contraception et de santé sexuelle, ce qui reste assez compliqué ici car c’est tabou. »

Environ 180 personnes vivent dans cette communauté, très loin des premières infrastructures de santé. Buenaventura, la ville la plus proche, est à plusieurs heures de bateau mais l’essence est rare et chère.

Pourtant, les besoins en santé sont grands et l’isolement n’est pas le seul problème de la communauté : la région est le théâtre de combats entre les groupes armés qui bouleversent la vie quotidienne des populations. C’est pour venir en aide à ces personnes isolées, leur apporter une aide médicale et psychosociale, que le bateauhôpital sillonne le fleuve. Équipé pour assurer des soins et des consultations, il peut accueillir environ une douzaine de personnes à la fois. En six mois, plus de 4 400 consultations de santé et environ 400 consultations de santé mentale ont été dispensées. Plus de 700 personnes ont par ailleurs été orientées vers des structures médicales.

Ce jour-là, dix femmes patientent avec leurs enfants sur le bateau stationné à quelques minutes de pirogue de Buenavista. Il y a notamment Mirna, venue avec son petit garçon d’un an pour la première fois. Elle explique qu’il souffre de diarrhées. « C’est plus facile de venir ici pour se soigner car les autres endroits qui existent sont loin et on n’a pas les moyens pour y aller. » Le long du couloir étroit, plusieurs petites salles de consultation sont alignées : gynécologues, sages-femmes, médecins ac- cueillent les patients et un petit comptoir fait office de pharmacie.

Les communautés vivent dans la peur du recrutement forcé des jeunes hommes, des homicides, des viols, des enlèvements.

Des traumatismes multiples

L’autre défi pour les deux partenaires est de parvenir à mener ces activités de soins à bord du bateau-hôpital malgré la présence de groupes armés. Ils seraient cinq dans la région, parmi lesquels l’armée de libération nationale (ELN), le Clan du Golfe et les soldats de l’armée régulière colombienne. Aux affrontements pour le contrôle du territoire s’ajoutent d’autres problématiques comme l’orpaillage illégal, pratique très polluante qui contamine l’eau du fleuve, mais aussi le trafic de drogue. Ana Lucia Lopez, directrice du bateau-hôpital, confie que « le thème de la sécurité est un peu pesant pour nous et pour les activités ».

Les conséquences sont dramatiques pour les communautés indigènes et afrodescendantes de la région. Elles vivent dans la peur du recrutement forcé des jeunes hommes, des homicides, des viols, des enlèvements. Des confinements sont régulièrement imposés et même aux heures où il est possible de sortir au-delà du village, personne n’ose s’y aventurer seul. Lucile Coizama vient de la communauté de Buenavista. Elle a trois enfants et est enceinte du quatrième. À bord du bateauhôpital, une échographie lui apprend que la grossesse se passe bien et que l’enfant se développe normalement. Lucile est soulagée mais confie que sa vie est difficile. « Ces derniers temps, le confinement a baissé en intensité mais il n’est pas terminé et c’est très pesant. Si on veut sortir pour aller chercher des bananes par exemple, on y va à plusieurs parce qu’on a peur. »

Outre des problèmes respiratoires ou des séquelles d’accidents – coups de machette, piqûres de serpent – l’équipe médicale du bateau traite des cas de malnutrition chez des enfants. Cela est directement lié aux confinements, car les habitants ne sont plus libres de circuler, de cultiver leurs terres et de faire la récolte. Yeimy Alejandra Garcia est psychologue sur le bateau-hôpital. Elle observe les conséquences du conflit sur la santé mentale des patients. « Les personnes ici souffrent beaucoup d’angoisse, les principaux symptômes sont des problèmes de sommeil, des dépressions, des cas d’automutilation, de stress post-traumatique ou encore d’addictions à l’alcool. Il est assez
difficile d’aborder les questions de santé mentale, les gens viennent d’abord pour des maladies ‘‘physiques’’ mais quand on commence à essayer de discuter avec eux, beaucoup craquent. »

L’impact du conflit sur les communautés indigènes est démultiplié du fait de leur rapport fusionnel avec leur terre et de leur « cosmovision » du monde. Mais c’est aussi ce qui leur donne une grande capacité de résilience dans ce contexte de violences qui ne semble pas prendre la direction de la « paix totale » promis par le nouveau gouvernement.

· Margaux Lesage

« En collaboration avec l’université publique, nous avons créé des modules de formation en santé pour les personnes issues des communautés indigènes et afro-descendantes identifiées comme promotrices de santé par leurs pairs. C’est-à-dire des personnes qui ont un rôle de jaibana (médecin traditionnel), de leader de la communauté, d’agent de santé ou de partera (accoucheuse traditionnelle) par exemple. Il s’agit de formations aux mesures de prévention, à l’éducation à la santé mais aussi à la promotion des droits en matière de santé sexuelle et reproductive des femmes. L’objectif est que chaque communauté ait une personne référente qui puisse promouvoir la santé auprès de tous les habitants. Ces ateliers de formation sont aussi l’occasion pour des personnes issues de différentes communautés de se rencontrer. C’est un moment d’interculturalité, d’échanges et de dialogue. »

Carlos Montufar, référent médical

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