Crise des financements humanitaires : défendez la solidarité, signez notre pétition ! 🖊️

Le Rapport Moral 2024
de Médecins du Monde

Edito

L’année 2024 s’est inscrite dans la continuité des précédentes, dominée par de nombreuses crises humanitaires et leurs cortèges de souffrance pour les populations victimes de guerres et de crises socio-économiques dévastatrices.

À l’empilement de conflits particulièrement mortels pour les civils se sont ajoutés le péril environnemental et les instabilités politiques qui ont induit des déplacements massifs d’exilés. Dans le même temps, les plus gros bailleurs institutionnels de l’écosystème humanitaire que sont les États-Unis et les Européens ont annoncé des coupes drastiques de leurs financements.

Malgré les déchaînements de violence, notre association de solidarité internationale médicale et militante résiste et continue d’offrir une part d’humanité au cœur des conflictualités. Médecins du Monde est ainsi intervenue dans une trentaine de pays dont la France pour soigner, témoigner et tenter d’être actrice du changement social en faveur du respect des droits fondamentaux.

Le 24 janvier 2025, l’administration Trump annonçait la suspension immédiate – et pour une durée de quatre-vingt-dix jours – des projets actuels et futurs financés par les États-Unis. Les fonds gelés destinés au département d’État et à l’USAID, l’Agence des États-Unis pour le développement international, avoisinent les soixante-dix milliards de dollars, soit près de 40 % du financement de l’aide humanitaire mondiale totale. De manière moins brutale mais tout aussi grave, la France a baissé de 37 % son budget pour l’aide publique au développement (APD) début 2025, rejoignant les annonces de coupes à hauteur de 50 % de la plupart des autres pays européens. Ils participent ainsi au chaos systémique actuel avec des conséquences humaines désastreuses alors que les besoins n’ont jamais été aussi élevés. Dans ces conditions, force est de constater que la solidarité internationale – les mécanismes de gestion de crise et ses acteurs – subit une attaque en règle, agences des Nations unies comprises.

DES RÉPONSES OPÉRATIONNELLES ADAPTÉES

Au Proche-Orient, les profonds bouleversements géopolitiques de 2024 ont refaçonné la région et conduit notre association à des ajustements opérationnels, tout en rappelant en permanence le devoir de respecter le droit international humanitaire.

À Gaza, le gouvernement israélien opère un blocus massif sur le territoire, avec une létalité démesurée de civils et d’humanitaires. Malgré ces conditions de survie extrêmes, les équipes de Médecins du Monde mènent un travail admirable en effectuant plusieurs centaines de consultations par jour. En Cisjordanie, la colonisation s’accélère avec des déplacements massifs de civils tandis que les opérations humanitaires sont entravées par une multiplication des checkpoints routiers et un cadre législatif israélien de plus en plus contraignant, qui réduit l’espace humanitaire. Nos équipes tentent de s’adapter à ce contexte en allant au plus près des besoins via des actions itinérantes.

Fin 2024, l’escalade militaire au Liban a conduit à des milliers de morts et de blessés et au déplacement de centaines de milliers de civils. Entre trêves et bombardements inattendus, nous avons proposé, en lien avec nos partenaires locaux, des soins de santé primaires pour les déplacés ainsi que des activités en santé mentale et soutien psychosocial.

Dans le même temps, la chute du régime sanguinaire de Bachar al-Assad en décembre 2024 a été un soulagement pour la population syrienne, même si l’insécurité reste encore palpable à différents endroits du territoire. Médecins du Monde France a pu redéployer des missions exploratoires dans le gouvernorat de Damas, pendant que Médecins du Monde Turquie et Espagne poursuivaient leurs activités dans le Nord et l’Est du pays.

Sur le continent africain, les conflits chroniques n’ont pas diminué en intensité, que ce soit au Burkina Faso, en République centrafricaine ou en République démocratique du Congo (RDC). Médecins du Monde a poursuivi sa réponse aux urgences dans ces pays, le plus souvent au travers d’une offre de santé primaire et d’un soutien en santé mentale. Notre association y développe aussi des activités de plus long terme, notamment dans le champ des droits et santé sexuels et reproductifs. La lutte pour un accès inconditionnel à l’avortement mais aussi contre les cancers du col de l’utérus représentent des succès opérationnels que nous avons su porter avec des partenaires de qualité et qui nous placent comme un acteur reconnu et incontournable des droits des femmes.

En termes d’action médicale, notre association demeure résolue à faire évoluer les pratiques, les simplifier et les rendre plus accessibles à toutes et à tous. En matière de réduction des risques pour les usagers de drogues, nous restons en pointe des innovations opérationnelles, notamment dans le Caucase du Sud (Arménie, Géorgie) et en Tanzanie où nous développons le projet CUTTS HepC (Catalysing uptake of under-utilised tools & treatment simplification for HepC). En Birmanie, nos opérations en faveur de la lutte contre le VIH et les hépatites ont tenu le cap malgré des conditions politiques et sécuritaires instables.

Concernant nos engagements en matière de santé et de lutte contre les inégalités environnementales, Médecins du Monde a su formaliser un cadre interventionnel selon des approches « One Health » (« une seule santé ») et de santé planétaire qui guident nos opérations et nos plaidoyers. J’ai pu me rendre sur nos différents projets, aussi bien au Népal, aux Philippines, à Kinshasa (RDC) que dans le Médoc (Nouvelle-Aquitaine). Ces déplacements ont constitué autant d’occasions de prendre la mesure de nos réalisations pour des populations vivant dans des habitats insalubres et/ou exposées à des environnements professionnels dégradés, aux pesticides notamment.

Après 35 années et des milliers de patients opérés, l’Opération Sourire et ses activités chirurgicales – qui restent par ailleurs une réalité opérationnelle à Médecins du Monde – va être transférée à nos partenaires de terrain. Je tiens à saluer ici le travail remarquable tant des équipes bénévoles que salariées, qui ont su faire vivre l’esprit et les valeurs de notre association au travers de leurs actions.

EN FRANCE, UN COMBAT CONTRE LES INÉGALITÉS ET LES IDÉES D’EXTRÊME DROITE

Médecins du Monde est une organisation humanitaire médicale non partisane, mais qui intervient au demeurant dans le champ des idées politiques en proposant des solutions innovantes en matière de lutte contre les inégalités sanitaires, sociales et environnementales. Cette militance s’exprime aussi en France où nous développons plus d’une quarantaine de projets grâce à l’engagement de nos équipes bénévoles et salariées.

Lors des élections législatives de 2024, nous avons assumé et porté, de manière historique, une consigne de vote contre les idées d’extrême droite et les partis qui les incarnent, ces derniers ayant des valeurs parfaitement contraires à celles que nous défendons. Au sein du collectif Nos Services Publics, nous avons réaffirmé notre soutien à un système de santé solidaire et à un État social doté de moyens financiers et humains significatifs. Dans le même temps, et au nom de l’éthique médicale, nous continuons de refuser toute médecine qui viendrait à opposer les bons et les mauvais patients, comme le souhaitent les chantres de la remise en question régulière de l’aide médicale de l’État (AME). Enfin, nous soutiendrons toujours un projet de société démocratique fondé sur la diversité et les contre-pouvoirs constructifs, comme ceux incarnés par les associations.

Les Jeux Olympiques d’été de Paris 2024 ont été l’occasion d’une émulation populaire indéniable, mais ils ont aussi engendré un nettoyage social avec près de 20 000 expulsions préalables en Île-de-France. Cette violence physique et symbolique a été dénoncée par le collectif Le revers de la médaille, au sein duquel Médecins du Monde s’est fortement investie pour défendre les intérêts des plus précaires.

Concernant les enjeux migratoires, notre mobilisation pour dénoncer les dérives du projet de loi asile et immigration à l’encontre des droits fondamentaux a été remarquée, ce alors que 2024 a été l’année la plus meurtrière à la frontière franco-britannique avec au moins 90 morts.

Le cyclone tropical Chido qui a balayé l’archipel de Mayotte le 14 décembre 2024 a été le plus dévastateur que sa population ait connu en un siècle. Destruction massive de bidonvilles, de centres de santé, coupures d’eau et d’électricité… Cette situation catastrophique, dans le contexte préalable d’extrême précarité du 101e département français, a nous a conduit à apporter une réponse d’urgence pour faire à des besoins qui restent encore considérables à ce jour.

UNE DÉMOCRATIE ASSOCIATIVE RENFORCÉE, AU SERVICE DE L’ENGAGEMENT

Afin de renforcer la vitalité associative, le Conseil d’administration (CA) a, depuis le mois d’octobre 2024, ouvert ses réunions mensuelles au public, et plus particulièrement aux adhérents et membres de la communauté Médecins du Monde.

Concernant la qualité de vie au travail, le CA fait de la sécurité des équipes, de leur bien-être et de la reconnaissance du travail de chacun et chacune et une priorité absolue. Depuis l’AG de 2024, la QVCT est consacrée comme un projet de l’entité à part entière, et qui est doté de nouveaux financements très conséquents pour mener une politique de ressources humaines responsable et bienveillante.

Enfin, Médecins du Monde France est membre d’un réseau international qui compte 16 autres membres ayant chacun un niveau de développement différent. Consciente de l’importance de ce collectif, qui plus est dans un contexte d’impact des coupes des financements institutionnels, notre association est déterminée à accompagner la structuration d’une gouvernance collective et un développement fondé sur une croissance globale, qui passe entre autres par l’émergence de nouveaux membres issus du Sud global.

La montée des populismes, qui n’épargne pas les démocraties occidentales, engendre un repli sur soi et le développement de politiques stigmatisantes qui accentuent les vulnérabilités.

Ces idéologies génèrent aussi un climat de défiance vis-à-vis des acteurs humanitaires ou encore des scientifiques qui voient leur légitimité et leur espace interventionnel remis en question. Malgré cela, l’engagement de Médecins du Monde et de ses partenaires de terrain reste total pour faire face à ces dynamiques qui favorisent l’obscurantisme et creusent les inégalités. Et cela grâce à l’implication sans réserve de nos milliers de salariés, bénévoles et adhérents, et le soutien des bailleurs et des donateurs qu’il nous faut à nouveau remercier chaleureusement ici. Merci à toutes et tous.