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Vaccins contre le covid-19 "Emmanuel Macron ne cesse de tourner en rond pour ne pas prononcer son soutien ferme à la levée des brevets"

  • Vaccins contre le covid-19 : « Emmanuel Macron ne cesse de tourner en rond pour ne pas prononcer son soutien ferme à la levée des brevets »

Alors que de nombreux pays demandent la suppression des droits de propriété intellectuelle à l’OMC pour favoriser l’accès à la vaccination, l’Europe et la France tergiversent, dénonce Philippe de Botton, président de Médecins du monde, dans une tribune au « Monde ».

Face au Covid-19, une couverture vaccinale optimale ne pourra passer que par une levée des brevets sur les vaccins avec l’accord de la France et de l’Europe.

Tribune publiée sur le site du Monde, le 31 mai 2021 : disponible ici.

Depuis la déclaration du gouvernement Biden du 5 mai, favorable à une négociation de la proposition sur la levée temporaire de certains droits de propriété intellectuelle liés aux technologies de santé sur le Covid-19 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les débats ont été mouvementés. Sans tarder, de nombreux gouvernements ont exprimé en cascade leurs bonnes intentions et une soudaine « ouverture » à considérer cette proposition présentée par l’Inde et l’Afrique du Sud en octobre 2020, et aujourd’hui soutenue par plus de 100 pays.

Celle-ci propose de libérer les technologies Covid-19, au premier titre desquelles les vaccins, de manière à permettre la production de versions génériques, hors brevets, et, par là, mieux répondre à un besoin et à une demande mondiale. C’est une mesure de santé publique, de santé mondiale, mais aussi une proposition ayant une forte dimension éthique sur la disponibilité des diagnostics, traitements et vaccins en temps de pandémie. Cette résolution s’inscrit également dans un contexte de très fortes disparités sur la répartition des vaccins à l’échelle internationale, avec une concentration, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de 81 % des doses disponibles dans les pays les plus riches, alors que les pays à faible revenu n’en ont reçu que 0,3 %.

LE RISQUE DE VARIANTS PLUS AGRESSIFS

Pourtant, l’OMS n’a cessé d’alerter sur les dangers du nationalisme vaccinal et les inégalités d’accès à la vaccination entre les pays du Sud et les pays du Nord. Cette concentration sur un petit nombre de pays des vaccins disponibles laisse des populations sans défense face à la pandémie, aux dépens de nombreuses vies perdues et du risque de voir apparaître de nouveaux variants toujours plus agressifs. Alors que certains pays ayant un taux de vaccination élevé semblent penser, ou espèrent, que la pandémie est bientôt terminée, d’autres, comme l’Inde, le Brésil et le Népal, connaissent d’énormes vagues et peinent, voire ne peuvent encore vacciner leurs personnels soignants, les personnes à risques et la population en général.

Cette levée temporaire de la propriété intellectuelle, en laissant la place à la production indépendante, non seulement de vaccins, mais de l’ensemble des produits de santé nécessaires à l’accès effectif au droit à la santé, est le seul mécanisme permettant d’augmenter rapidement les capacités de production et de lutter efficacement contre la pandémie partout, sans avoir à faire des choix tragiques entre les personnes, les populations et les pays. Certes, cette suspension des droits de propriété n’est pas la solution en soi, mais c’est une condition sine qua non. La production ne peut être augmentée à court terme que dans le cadre d’une stratégie globale contenant le transfert de technologie et le partage du savoir-faire.

Au-delà des très nombreux pays qui soutiennent cette proposition, de nombreux acteurs de la santé, dont l’OMS, des scientifiques, des associations, des lauréats de prix Nobel et, plus récemment, le Parlement européen défendent la dérogation des droits de propriété intellectuelle à l’OMC. Dans ce paysage, la France, qui vaccine en masse sa population et espère que la pandémie sera bientôt un souvenir, présente une position ambiguë pour le reste du monde. Emmanuel Macron se veut le champion des vaccins comme « biens publics mondiaux », au point que son gouvernement se réjouit de voir le président Biden s’aligner sur la France lorsqu’il propose la levée de la propriété intellectuelle.

Mais, depuis, le président français ne cesse de tourner en rond pour ne pas prononcer son soutien ferme à la levée des brevets sur les vaccins notamment.

IL N’EST PLUS TEMPS DE FAIRE DES RAPPORTS

Ainsi, lors du dernier sommet européen à Porto, revirement : le problème ne serait plus vraiment celui de la propriété intellectuelle mais celui de la répartition des doses : « Vous pouvez donner la propriété intellectuelle à des laboratoires qui ne savent pas produire, ils ne le produiront pas » ; « Le premier sujet pour la solidarité vaccinale, c’est le don de doses ». Enfin, lors du Global Health Summit, celui-ci s’engage à ce que la propriété intellectuelle ne soit pas une barrière mais commande un rapport sur celle-ci pour le prochain G20… fin octobre.

Il n’est plus temps de faire des rapports alors que la pandémie continue d’être active dans le monde et que de nombreux producteurs sont prêts et disposés à engager leur capacité de production et se voient, depuis des mois, empêchés par un modèle de propriété intellectuelle qui oppose à la santé publique internationale la santé de certains et les intérêts des autres. C’est ainsi que le bien public mondial pourrait se traduire par un cynique « business as usual ». Alors qu’un grand nombre de pays demande la levée des barrières des droits de propriété intellectuelle à l’OMC, l’Europe et la France, toujours plus isolées, tardent et tergiversent.

La 74e Assemblée mondiale de la santé est une occasion pour la France de rompre avec cette position et d’assumer de nouveau un engagement historique en faveur de la santé publique mondiale. Emmanuel Macron doit s’inscrire dans cet héritage en défendant la levée temporaire de la propriété intellectuelle à l’OMC. Alors seulement le discours du « bien public mondial » dépassera la communication, pour devenir des actes.

Signataire

  • Philippe de Botton est médecin endocrinologue et diabétologue et président de Médecins du monde France.