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Mayotte : la santé en danger

Articles 21.02.2024

© Martin Straub

Les blocages généralisés en cours depuis le 22 janvier 2024 sur le 101ème département français impactent directement l’accès aux soins ainsi que les activités des associations médico-sociales, entraînant un contexte sanitaire très préoccupant.

Entraves à l’accès aux soins

Depuis presque quatre semaines, plusieurs des personnes que nous accompagnons nous ont signalé ne pas avoir accès aux centres de soins. Deux causes à cela : l’insécurité généralisée et les barrages initiés par des « mouvements citoyens » sur les axes routiers et maritimes de l’île.

Dispensaires, Protection Maternelle Infantile, unités spécialisées… De nombreux services de santé sont également bloqués sans que les autorités n’interviennent. Le 22 janvier, le dispensaire de Jacaranda a une fois de plus été bloqué par des collectifs.

Nous nous inquiétons de l’état de santé des habitants, en particulier de ceux souffrant de maladies chroniques qui n’ont pu ces dernières semaines avoir accès ni aux centres publics de soins, ni à leurs traitements réguliers, ni aux urgences.

Ces graves entraves ne font qu’accentuer les difficultés et augmenter les inégalités déjà flagrantes sur ce territoire.  Les conséquences, bien que prévisibles, sont désastreuses.

On n’imagine pas l’impact des ruptures de traitement, tant au niveau de la santé publique que sur l’état de santé individuel.

Soignant au Centre Hospitalier de Mayotte

À la pénurie chronique de personnels dans de nombreux services sur l’île s’ajoute aujourd’hui la fermeture de certaines PMI, sans qu’aucun dispositif étatique ne cherche à les en empêcher.

Nous recevons chaque jour de nombreux témoignages de personnels de santé. L’un d’entre eux, fait état du décès d’un nourrisson survenu le 3 février suite au blocage d’une ambulance par les barrages des collectifs.

« Je suis infirmier au CHM de Mamoudzou et j’habite sur petite terre. Depuis plusieurs semaines maintenant, les barrages de l’île m’empêchent de me rendre à l’hôpital. » Ce soignant ainsi que de nombreux autres nous alertent régulièrement de leur impossibilité à se déplacer pour se rendre sur leurs lieux d’exercice, lorsque ces derniers sont encore ouverts. 

Début février, on ne comptait par exemple qu’un infirmier et deux auxiliaires de puériculture pour 30 patients au lieu de six au CHM. Les soignants qui y parviennent font état de conditions dégradées qui ne leur permettent pas d’assurer des soins de qualité : fermeture du laboratoire et de la pharmacie centrale, interventions ralenties du SAMU, etc…   

Lorsque j'appelle le SAMU, il m’arrive d’attendre des heures avant qu’ils nous envoient une ambulance. Ils nous rappellent pour nous dire qu’ils sont désolés, qu’ils sont débordés et sursollicités pour pouvoir passer les barrages.

Sage-femme libérale dans le sud de Mayotte

Entraves à la solidarité

En parallèle, les acteurs associatifs font face à des incursions dans leurs locaux, des agressions verbales et physiques ou encore au cadenassage des accès à leurs établissements.

  • 8 associations

    ont été impactées ces dernières semaines, sans aucune intervention des autorités.

Il semble incompréhensible que nos associations qui œuvrent sur le terrain pour le bien commun et qui travaillent dans les champs de l’éducation, de l’insertion, du handicap, de la santé, de la jeunesse soient prises pour cible d’une rhétorique aussi stigmatisante.

Il serait illégitime d’oublier que ce sont ces mêmes associations, qui sont en première ligne et répondent toujours présentes lors des différentes crises qui traversent le territoire (COVID, manque d’accès à l’eau…). En se mobilisant, entre autres, sur la prévention et la gestion des risques épidémiques, elles sont indispensables au maintien de la santé publique qui concerne toute la population.

 

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En mai 2023, un grand nombre d’établissements de santé avaient dû fermer pendant près de trois semaines à la suite de blocages de collectifs pendant l’opération « Wuambushu ». Dès lors, les lieux de soins et les associations de l’île sont devenus des cibles et sont régulièrement bloqués au seul motif que ce sont des lieux publics, ouverts à toutes et tous. C’est pourquoi nous nous inquiétons également de la récente annonce d’un « Wuambushu II ».

Frise de l'évolution de la situation à Mayotte

Une réponse « tout sécuritaire » à des problématiques sanitaires

« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », disait Albert Einstein.

Le positionnement actuel de l’ État face à ces constats est largement insuffisant et le tout sécuritaire ne peut pas répondre aux multiples enjeux de Mayotte.

Nous demandons aux autorités de prendre la pleine mesure de ces problématiques qui risquent malheureusement de se reproduire de façon cyclique dans un avenir à court, moyen ou long terme.

L’État doit :

  • Prendre les mesures nécessaires pour garantir l’accès physique aux lieux de soins et d’accès aux droits pour toutes et tous dans le département.
  • Acter et garantir la sanctuarisation des lieux de soins et de leurs abords.
  • Préserver la liberté d’exercer dans des conditions dignes pour les associations régies par la loi 1901. Elles doivent avoir les moyens de mener à bien leurs missions et être soutenues par les pouvoirs publics . Leurs personnels et leurs usagers doivent pouvoir circuler librement.
  • Penser et mettre en œuvre une politique de développement de l’île réellement ambitieuse, à moyen et long terme sur les sujets de l’éducation, de la jeunesse, de la santé et d’un accès adapté aux services publics de qualité.

Les crises systémiques que traversent Mayotte ne peuvent pas être réglées par des réponses réactionnelles qui sont avant tout des effets d’annonce sans régler les véritables problèmes structurels de Mayotte.

Témoignages de soignants

  • Soignant 9 février 2024

    « La rétrocession du CHM est fermée depuis hier et la pharmacie centrale ne prend pas le relais pour la délivrance des antirétroviraux des patients positifs non affiliés afin d’éviter les ruptures de traitements.  On n’imagine pas l’impact des ruptures de traitement, tant au niveau de la santé publique que sur l’état de santé individuel, la catastrophe des maladies chroniques non transmissibles et transmissibles et ses répercussions sur le système de santé, sur la santé mentale et physique des personnes… au secours. »

     

  • Infirmier 14 février 2024

    « La barge qui habituellement relie les deux terres est refusée d’accès aux agents du CHM. Beaucoup d’agressivité et même de violence. Une collègue s’est vu prendre une gifle alors qu’elle négociait sa montée dans un bateau. Des insultes visant les soignants  du CHM car nous soignons « les migrants ». Les bateaux navette mis en place par le CHM pour faire la liaison sont victimes de menaces, ce qui les pousse aussi à nous refuser l’accès.

    Lorsque la traversée est possible, c’est le retour qui est incertain. De longues heures d’attentes après une longue garde en sous effectifs car d’autres n’ont pas pu rejoindre l’hôpital. Certains dorment dans leur service pendant plusieurs jours d’affilée.

    Climat d’incertitude et de stress permanent pour nous même mais aussi et d’abord pour nos patients qui en pâtissent chaque jour. »

  • Sage-femme 19 février 2024

    « On est passé de quatre maternités périphériques à deux, et là il y a des barrages qui étaient infranchissables, même pour les navettes de l’hôpital  ! Quand c’étaient des arbres sur la route ou des conteneurs qui bloquaient le passage, aucune ambulance, aucun SAMU, personne ne pouvait passer .

    Donc nous ne pouvions pas transférer les patientes, elles restaient sur des brancards parfois pendant 24h, parce qu’impossible de les transférer et chez nous il n’y a plus de lits, plus de places ! Les pauvres patientes… Et des patientes inquiètes, qui devaient sortir parce qu’on avait besoin des lits, et qui nous disaient complètement démunies : « mais comment je vais faire pour rentrer chez moi avec les barrages  ? avec mon bébé ? » Et nous on a aucune solution à leur proposer. Horrible cette situation. »

  • Sage-femme 19 février 2024

    « Moi je traverse les barrages de trois villes différentes, et dans certaines villes il y a plusieurs barrages. Pour traverser les barrages, il y a la queue, il y a le temps de laisser passer certaines voitures, souvent on ne peut passer que dans un sens. Et pour les gens qui font du domicile, ils doivent franchir les barrages plusieurs fois par jour. Au barrage, il faut montrer sa carte CPS, sa carte de l’ordre. Sur la carte CPS il n’y a pas de photo, donc plusieurs fois je me suis fait recalée ou on me demandait une carte d’identité. »