JO 2024 : « Peut-on imaginer que la fête olympique soit réussie si, pendant les Jeux, des milliers de personnes dorment chaque soir dans la rue ? »

  • JO 2024 : « Peut-on imaginer que la fête olympique soit réussie si, pendant les Jeux, des milliers de personnes dorment chaque soir dans la rue ? »

Tribune parue dans le monde le 6 février 2024

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 seront le plus grand événement jamais organisé en France. Imaginés pour être une grande fête populaire, ces Jeux portent aussi une promesse inédite d’engagement social, pour léguer en héritage une société plus inclusive.

Cependant, ces derniers mois, le nombre de personnes vivant dans la rue et en situation de grande précarité augmente de façon inquiétante. Plus de cinquante personnes sont mortes dans la rue en janvier 2024 en France, rapporte ainsi le collectif Les morts de la rue.

Partout dans le pays, les acteurs de la solidarité alertent quotidiennement sur la crise de l’hébergement d’urgence et l’augmentation du « sans-abrisme ». Près de 25 % des personnes primo-arrivantes à Paris sont dans une situation de faim sévère, précise le rapport « Les oubliés de droit d’asile », et près de cinq cents jeunes en recours de minorité [demande de recours pour que leur minorité soit reconnue et leur permettant de faire valoir leur droit à être mis à l’abri] vivent dans des conditions de vie indignes.

A ce jour, sur le terrain, nous constatons des effets très préoccupants de la préparation des Jeux olympiques en Ile-de-France : expulsions forcées de populations en situation d’habitat informel et précaire, éloignement des personnes sans-abri ou que l’on voudrait invisibiliser de l’espace public (travailleuses du sexe, usagers de drogues, etc.). Diverses études, telle « Fair Play for Housing Rights » [2007], publiée par le Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE), révèlent que les éditions précédentes des Jeux ont entraîné de tels effets importants de « nettoyage social » dans les villes hôtes. Pour tenir sa promesse d’héritage social positif, Paris 2024 doit être une édition des Jeux différente !

Urgence sociale

Car peut-on imaginer que la fête olympique soit pleinement réussie si, à l’approche et pendant les Jeux, des milliers de personnes, dont des familles et des enfants, dorment chaque soir dans la rue ? Si des milliers de personnes n’ont plus accès à l’aide alimentaire qui constitue bien souvent leur seul repas de la journée ? Si des personnes en situation de grande exclusion ne sont plus suivies pour leurs soins et les actions de santé préventive ? La fête peut-elle être joyeuse si des milliers de personnes n’ont pas accès à leurs droits fondamentaux, dont l’hébergement ? Si on les force à s’éloigner de Paris pour les rendre invisibles aux yeux du monde ?

Notre collectif Le revers de la médaille tire la sonnette d’alarme, avec l’espoir que les pouvoirs publics et les organisateurs des Jeux prennent enfin la mesure de l’urgence sociale actuelle et que nous puissions réagir collectivement.

Afin que la promesse d’héritage social positif des Jeux olympiques soit tenue en matière de lutte contre l’exclusion, nous demandons que soit mis en place de façon concertée un véritable plan pour la prise en charge des personnes en situation de précarité avant et pendant la durée des Jeux, ainsi que de consacrer un volet de l’héritage des Jeux à l’amélioration dans la durée de leur situation. Nous proposons en ce sens un ensemble de mesures concrètes.

Il faut tout d’abord prévenir les expulsions ou les éloignements des personnes en situation de précarité sans solution digne et pérenne (sans-abri, personnes exilées, habitants de campements, bidonvilles et squats, travailleuses du sexe, usagers de drogue, etc.), en agissant en coordination avec les associations et les équipes de maraudes qui accompagnent les personnes sur le terrain, afin que les orientations soient consenties et adaptées à chaque situation individuelle.

Une sortie de rue pérenne

Ensuite, il faut garantir la continuité de l’ensemble des dispositifs sociaux avant et pendant les Jeux en accompagnant leur adaptation le cas échéant, en raison des difficultés d’accès ou de maintien liées à l’organisation des Jeux. Cela concerne en particulier les dispositifs d’aide alimentaire, d’accès à l’eau, d’accès aux soins, de réduction des risques, d’accès aux droits, qu’ils soient fixes ou par des modalités d’« aller vers » (maraudes, équipes mobiles).

Il faut, enfin, léguer en héritage, par des solutions d’hébergement et d’accueil, la sortie de rue pérenne du plus grand nombre de personnes sans domicile : par la création nette de vingt mille places d’hébergement à l’échelle nationale, dont au moins sept mille en Ile-de-France, et la mise en place d’un centre durable de premier accueil humanitaire des personnes exilées à Paris.

A moins de deux cents jours des Jeux, il est encore temps d’agir. Si nous saluons les échanges et les points d’information avec les différentes institutions concernées, nous nous inquiétons qu’aucun engagement ne soit pris à ce jour pour des solutions concrètes à la hauteur des enjeux. Nous renouvelons notre appel à y travailler sans délai et en concertation. Nous ne sommes pas prêts, mais nous pouvons et nous nous devons de l’être.

  • Antoine de Clerck est coordinateur du collectif Le revers de la médaille, qui regroupe des associations, acteurs et actrices de la solidarité.