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"Cul par-dessus tête"

« Il va y avoir des morts ! ». L’avertissement était clair. Pourtant, malgré les appels de l’hôpital public à renforcer ses moyens – plus de lits, plus de personnels –, malgré un mouvement de mobilisation d’ampleur en 2019 – grèves, manifestations, démissions administratives –, l’État a fait la sourde oreille. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que le cauchemar annoncé devienne réalité, et que l’épidémie de Covid-19 donne raison aux soignants épuisés, en révélant la profondeur des failles de notre système de soins soumis aux lois du marché, aux logiques comptables et aux flux tendus.

Depuis de nombreuses années, le désengagement de l’État et la diminution des dépenses publiques fragilisent durablement notre système de santé. Un système qui manque de moyens pour assurer des soins de qualité pour toutes et tous, pour être véritablement solidaire. Un système dont sont toujours plus exclues les populations marginalisées, précarisées que Médecins du Monde soutient depuis plus de 30 ans en France.

Aujourd’hui, parce que leurs conditions de vie sont indignes, parce que leurs droits sont niés, elles sont privées de la possibilité de se protéger correctement du Covid-19. Les principes d’intervention de Médecins du Monde sont basés sur le renforcement des capacités d’agir des personnes face aux risques. En cette période épidémique, chaque personne en France devrait pouvoir appliquer les mesures d’hygiène et les gestes barrières, respecter le confinement et pouvoir renforcer ses capacités à se protéger elle-même et à protéger les autres.

Médecins du Monde est régulièrement confronté à l’émergence d’épidémies dans des pays au système de santé fragile. Quel que soit le contexte, lutter contre un agent pathogène contagieux et mortel nécessite des moyens de protection efficaces pour l’ensemble des soignants, une information claire des populations, des actions spécifiques pour les personnes qui sont les plus éloignées des soins, des moyens humains et financiers. En tant qu’association de santé et de solidarité ici et là-bas et acteurs humanitaires, nous savons qu’on ne peut faire face à une épidémie sans protocoles logiques, rigoureux, garantissant la sécurité sanitaire de tous les intervenants.

Nous dénonçons l’absence d’anticipation de la 6e puissance économique mondiale et le manque de moyens humains et matériels qui aujourd’hui pèsent lourd. Les stocks et commandes insuffisants de moyens de protection individuelle contraignent les acteurs de santé, mais aussi tous les acteurs essentiels au fonctionnement du pays, à prendre des risques pour eux même. Restreindre le nombre de masques attribués à un soignant ou ne pas fournir de masques aux patients suspectés d’être infectés par le Covid-19 et confinés à domicile sont des mesures dictées par la pénurie. En termes de santé publique, elles sont inadaptées, insuffisantes, voire dangereuses. En l’absence de tests virologiques, il n’a pas été possible de dépister et d’isoler précocement les malades, il faut espérer que la France disposera de suffisamment de tests sérologiques quand viendra le temps du déconfinement.

« Nous dénonçons l’absence d’anticipation de la 6e puissance économique mondiale et le manque de moyens humains et matériels qui aujourd’hui pèsent lourd. »

Le 25 avril 2019, Emmanuel Macron déclarait : « Nos concitoyens ont l’impression que, en quelque sorte, tout est cul par-dessus tête, que plus rien ne tient ». L’impression est tenace. En 2020, tout est bien cul par-dessus tête : la démocratie sanitaire est balayée des processus décisionnels, les réanimateurs recyclent des masques Décathlon®, le ministre de l’Action et des Compte publics appelle aux dons et crée une cagnotte.

Or cette pandémie exige une réponse forte de l’État. Plus que de discours infantilisants et d’injonctions contradictoires, nous avons besoin de décisions et de messages clairs, de moyens d’ampleur, d’une priorisation dans l’affectation des dépenses publiques. Il est urgent d’abandonner les doctrines libérales et sécuritaires qui prévalaient jusqu’ici et de se concentrer sur l’urgence sanitaire et la refondation d’un service public de santé.

« Plus que de discours infantilisants et d’injonctions contradictoires, nous avons besoin de décisions et de messages clairs, de moyens d’ampleur, d’une priorisation dans l’affectation des dépenses publiques. »

En tant qu’acteurs de santé, nous demandons des mesures fortes telles que la levée des barrières financières liées à l’accès aux soins pour toutes et tous tel que préconisé par l’OMS et quel que soit le statut administratif des personnes. Il est aussi indispensable que les mesures de prévention soient accessibles à tous et toutes, c’est pourquoi nous demandons la mise à l’abri immédiate et pérenne de toutes les personnes sans domicile et la régularisation des sans-papiers tel qu’au Portugal.

Plus globalement nous demandons des efforts budgétaires immédiats pour des moyens sanitaires d’ampleur afin de protéger l’ensemble des acteurs du soin et du care en France à la hauteur de la dangerosité de ce virus, la promotion du masque pour tous et un accès au dépistage avec des tests virologiques et bientôt sérologiques nombreux. Nous appelons l’Etat à anticiper dès aujourd’hui des pénuries de médicaments à venir et à mettre en place un cadre de négociations avec les instituts de recherche et l’industrie pharmaceutique, en concertation avec les acteurs de la santé publique, afin que les brevets et les prix des vaccins et des innovations thérapeutiques contre le Covid 19 ne constituent pas une barrière à l’accès universel aux médicaments.

Il est urgent d’adopter des mesures sociales d’ampleur, à destination des personnes que ce virus et la crise économique qui en découle précarisent. La santé doit être considérée comme un bien commun essentiel et sanctuarisé, qui ne peut être soumis aux lois du marché, et devenir une priorité des dépenses publiques.

Signataires

  • Dr Philippe de Botton Président de Médecins du Monde
  • Dr Carine Rolland Membre du conseil d’administration de Médecins du Monde