Médecins du Monde victime d’un vol de Carte Bleue, la situation sous contrôle

Après le séisme, la vie et la santé des Syriens et Turcs doivent primer sur les considérations politiques

  • Après le séisme, la vie et la santé des Syriens et Turcs doivent primer sur les considérations politiques

Tribune parue dans le Journal du Dimanche le 27 mars 2023.

Plus d’un mois après le séisme en Turquie et en Syrie, pire catastrophe naturelle dans la région depuis plus d’un siècle, Médecins du Monde déplore que les agendas politiques de la communauté internationale l’emportent sur l’aide humanitaire. Entre un État turc où la démocratie se fissure, des territoires du nord-ouest syrien ravagés par douze ans de guerre, des États tiers qui mesurent leur aide à l’aune de considérations politiques et les difficultés d’accès aux zones sinistrées, les populations sont victimes d’un cruel abandon.

Le 6 février, des secousses mortelles ont percé la nuit dans le sud de la Turquie et dans les zones rebelles du nord-ouest syrien. Des bâtiments entiers se sont effondrés, entraînant la mort de plus de 51 000 personnes et plus de 110 000 blessés. 26 millions de personnes sont affectées par ce séisme massif selon l’OMS.

Nos équipes de Médecins du Monde, présentes dans ces zones en Turquie et en Syrie depuis plusieurs années, ont pu être à l’œuvre dès les premières heures de la catastrophe. En déplacement sur place un mois après, il nous semble fondamental de témoigner que la réponse d’urgence n’est aujourd’hui pas à la hauteur des besoins humanitaires colossaux et durables des populations.

Il n’y a plus un seul hôpital public opérationnel dans toute la Province de Hatay. Des familles entières vivent sous tente, avec très peu de moyens de subsistance et un accès limité aux soins. De nombreuses ONG internationales ont proposé leur aide, mais n’ont toujours pas les autorisations pour agir. Si la souveraineté de l’État turc dans les opérations de secours est tout à fait légitime, celui-ci doit permettre aux acteurs humanitaires d’accéder aux territoires sinistrés afin de participer à cette réponse d’urgence.

De l’autre côté de la frontière, les paysages des « zones rebelles » en Syrie sont tous empreints de désolation. Les Syriens que nous avons rencontrés affirment que ce séisme est plus grave encore que les bombes. Plus traumatisant, plus dur à surmonter. Ils disent, ici aussi, la lenteur de l’arrivée de l’aide, le manque d’abris, de matériel de chauffage, de nourriture, de kits d’hygiène, d’accès à l’eau potable.

Nous savons par expérience que ces contextes de crise entraînent systématiquement une hausse des violences contre les femmes et des ruptures de services de santé essentiels comme le suivi des grossesses, l’avortement et l’accès à la contraception. Ces conditions de vie insalubres favorisent également l’apparition de pathologies infectieuses diverses, notamment respiratoires, cutanées ou digestives.

La résurgence du choléra, péniblement endigué cet hiver, inquiète aussi. Alors qu’importer les médicaments et les vaccins est extrêmement compliqué, continuer de vacciner les enfants est plus que nécessaire. Plus alarmant encore pour nos équipes, ce sont les troubles graves en santé mentale, chez les enfants comme chez les adultes : syndromes post-traumatiques, crises de panique ou syndromes dépressifs. Il faut agir rapidement et avec du personnel qualifié pour intervenir dans les communautés les plus touchées et espérer minimiser l’impact à long terme de ce choc.

D’ici quelques semaines, les besoins de santé auront explosé et les rares soignants des zones sinistrées feront face à des populations toujours traumatisées, toujours sous des abris précaires. Mais quelle solidarité peuvent-ils espérer dans ces territoires où l’aide est systématiquement politisée par la communauté internationale ?

La réalité politique des zones sinistrées est complexe dans ces deux pays clés à la frontière de l’Europe. Malgré des annonces d’ouverture dans les jours qui ont suivi le séisme, l’aide vitale attendue par les populations a été entravée par des considérations politiques, comme l’a souligné le 13 mars la commission d’enquête internationale, mandatée par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Les visas et laissez-passer ne sont accordés qu’au compte-goutte, alors que les pays limitrophes disposent de nombreux personnels qualifiés disponibles pour venir en aide rapidement aux personnes impactées, par exemple avec des soins de santé mentale de première urgence. Les équipes de Médecins du Monde sont prêtes, mais ont un accès trop contraint aux zones sinistrées.

En tant qu’acteur humanitaire, Médecins du Monde est lucide sur les manœuvres de Bachar El Assad pour utiliser de manière cynique le séisme ayant touché fortement les zones hors de son contrôle militaire pour redonner une place à son régime sur la scène internationale. Les États soucieux d’un secours réel aux populations ne doivent pas tomber dans son piège de diplomatie opportuniste. Ils doivent cependant tout faire pour mettre en œuvre leur devoir d’assistance en demandant la mise en place d’exemptions humanitaires aux régimes de sanctions qui ciblent la Syrie, assurer un accès humanitaire sans entraves, et un financement à la hauteur des besoins. Aucune autre considération que la vie et la santé des Syriens et des Syriennes ne doit prévaloir aujourd’hui.

Les ONG implantées depuis de nombreuses années en Turquie et en Syrie sont des vecteurs de la solidarité internationale mais ne doivent jamais être considérées comme des acteurs de la politique étrangère des États. Notre indépendance des pouvoirs publics est la garantie d’une action humanitaire basée sur des principes d’humanité, d’impartialité et de neutralité qui font abstraction des considérations géopolitiques. Cette condition est fondamentale pour nous : seuls les besoins en santé des personnes et l’effectivité de leurs droits guident notre action.

La vie et le bien-être futur de ces populations turques et syriennes, déplacées, abîmées par les conflits et le séisme méritent enfin des gestes forts : placer les valeurs humanitaires au-dessus des considérations politiques afin de ne plus entraver leurs secours.

Le 20 mars, la Conférence internationale des donateurs, organisée par l’Union européenne, s’est conclue sur une aide de 7 milliards d’euros en faveur des territoires sinistrés. Les financements ne seront jamais suffisants s’ils ne s’accompagnent pas d’une transition politique amenant paix et stabilité dans ces territoires meurtris.

Signataires

  • Dr Françoise Sivignon, Vice-présidente de Médecins du Monde
  • Joël Weiler, Directeur général de Médecins du Monde