Nous, membres et représentant·e·s des organisations engagées dans la lutte contre les hépatites virales, réunissant des personnes vivant avec l'hépatite virale, des médecins, infirmier·ère·s, travailleur·euse·s sociaux·ales, chercheur·se·s, expert·e·s en santé publique et personnes usagères de drogues – exprimons notre inquiétude quant au décalage croissant entre l’impact immense des épidémies d’hépatites B et C sur les personnes usagères de drogues, et leur accès quasi-inexistant aux services de prévention, de diagnostic et de traitement, à l'échelle mondiale.
Le partage des seringues et autres matériels d’injection non-stérile expose les personnes usagères de drogues à d’importants risques d'infection par le virus de l'hépatite B ou de l'hépatite C. Au niveau mondial, on estime actuellement que parmi les 15,6 millions de personnes qui s’injectent des drogues, 52% sont positives aux anticorps de l'hépatite C et 9% vivent avec une hépatite B chronique1. En matière de santé publique et de droits humains, améliorer l'accès à la prévention et au traitement de l’hépatite C pour les personnes usagères de drogues est essentiel pour réduire le nombre de contaminations et venir à bout de l'épidémie, dans la mesure où le partage du matériel d’injection est estimé responsable de 23% des nouvelles infections à ce virus2.
L’accès aux programmes d'échange de seringues à bas seuil, aux thérapies de substitution aux opiacés, au traitement de l'hépatite C et autres interventions de réduction des risques est essentiel pour réduire le nombre de nouvelles infections et la prévalence chez les personnes usagères de drogues3,4. Par ailleurs, ces initiatives sont économiquement rentables5,6. En 2016, les États membres de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ont adopté la première Stratégie mondiale en santé sur l'hépatite virale7, qui désigne la réduction des risques comme l'une des cinq actions clés nécessaires pour atteindre l'objectif fixé d'élimination de l'hépatite virale dans le monde d'ici 2030.
Améliorer l'accès à la prévention et au traitement de l’hépatite C pour les personnes usagères de drogues est essentiel pour réduire le nombre de contaminations.
Malgré les données probantes et recommandations de l'OMS, les services complets de réduction des risques restent inaccessibles à la plupart des personnes usagères de drogues dans le monde. En 2017, parmi les 179 pays et territoires où un usage de drogue par voie intraveineuse a été observé, seuls 86 (48%) mettent en place des thérapies de substitution aux opiacés, et 93 (52%) des programmes d’échange de seringues8. En outre, les couvertures nationales et régionales de ces services varient substantiellement et sont le plus souvent en-dessous des indicateurs recommandés par l’OMS
; moins de 1% des personnes qui s’injectent des drogues vivent dans des pays avec une large couverture de ces interventions8. Lorsque ces services existent, les personnes usagères de drogues font face à des difficultés d'accès à la prévention et au traitement de l'hépatite C, du fait de leur accès limité aux services de santé, de leur exclusion à travers des critères de prise en charge, des menaces de violences et d'abus quand leur statut d’usager·ère de drogue est révélé, et de la stigmatisation générale à leur égard. En conséquence, l'épidémie d'hépatite C continue de croitre parmi les personnes usagères de drogues9.
Les services complets de réduction des risques restent inaccessibles à la plupart des personnes usagères de drogues.
Ce manque d'accès aux soins de l'hépatite pour ces personnes est directement lié à nos lois et politiques qui pénalisent l'usage, la détention de drogues ainsi que les personnes usagères de drogues elles-mêmes10,11. L'application de la loi répressive sur les drogues est un obstacle direct aux services de réduction des risques, et ce pour plusieurs raisons :
- L'interdiction de la détention de matériel de consommation de drogues porte entrave aux services de réduction des risques ainsi qu’à l’accès à ces services par les personnes usagères de drogues ;
- Plusieurs lois nationales imposent des peines de prison sévères et disproportionnées pour les délits mineurs et non-violents (tels que l'usage de drogues, la détention et la vente en petite quantité) ;
- Les personnes usagères de drogues sont fréquemment incarcérées ou arrêtées de façon extrajudiciaire, ce qui conduit souvent à l'interruption des traitements médicaux, au non-accès aux services de prévention et autres services de réduction des risques, et les expose à un risque plus élevé d'infection à l'hépatite ;
- Les politiques pénalisant l'usage des drogues véhiculent des stéréotypes et des idées négatives concernant les personnes usagères de drogues, renforçant ainsi leur stigmatisation et la discrimination.
Dans les pays ayant intégré la réduction des risques au sein des politiques nationales de santé publique, la pénalisation demeure un plafond de verre à l’accès aux soins ; la peur d'être arrêté écartant les personnes des services de prévention et de soins.
Dans un certain nombre de pays, tels que le Portugal et la République Tchèque, les délits liés à la drogue ont été dépénalisés depuis des années, avec pour résultat des améliorations significatives en matière de santé publique12,13. Ces changements de politique ont permis d'augmenter l'accès aux services de réduction des risques et de santé pour les personnes usagères de drogues – contribuant ainsi à diminuer le nombre de nouvelles infections par le VIH, ainsi que les dommages liés à la dépendance aux drogues14.
Dans un certain nombre de pays, les délits liés à la drogue ont été dépénalisés, avec pour résultat des améliorations significatives en matière de santé publique.
Tandis que nos législations et politiques de lutte contre les drogues sont présentées comme nécessaires à la préservation de la santé et de la sécurité publiques, l’expérience et les données scientifiques démontrent qu’elles ont conduit à des violations des droits humains inutiles et disproportionnées : violence, maladie, discrimination et dégradation des droits des personnes à la santé notamment11,12,13. La nécessité de réformer les lois et politiques sur les drogues, en se basant sur les données scientifiques, est aujourd’hui reconnue par un nombre croissant de dirigeants mondiaux, d'experts en santé publique, l'OMS ainsi que d'autres agences des Nations Unies. Tous préconisent la dépénalisation des délits mineurs et non-violents liés aux drogues ainsi que le renforcement des alternatives aux sanctions pénales orientées sur la santé9,15,16,17,18,19,20,21,22.
Nous, personnes engagées dans la lutte contre l'hépatite virale, soutenons l'engagement des États membres de l’OMS à atteindre l'objectif d'éliminer l'hépatite virale d'ici 2030. C’est pourquoi nous enjoignons les dirigeants politiques mondiaux à éliminer toutes les barrières qui empêchent les personnes usagères de drogues d’accéder aux services de prévention et de traitement. Cela inclut de réformer les lois, les procédures d'application des lois et les critères discriminatoires qui entravent l'accès à ces services, y compris la pénalisation des délits mineurs et non-violents liés aux drogues. Il est urgent d’adopter une approche fondée sur la promotion de la santé publique, le respect des droits humains et les données scientifiques.