Des distributions faites par l'Etat considérées comme suffisantes
Le juge a énoncé que les distributions mises en place par l'Etat suffisaient prétendument à couvrir les besoins de l'ensemble des personnes exilées présentes à Calais, y compris pour celles qui dorment en centre-ville, en considérant que " la circonstance que pour y accéder, les migrants installés en centre-ville depuis début août doivent parcourir trois kilomètres n’est pas de nature à caractériser des conditions de vie indignes."
Cette appréciation est particulièrement contestable. En effet, les indicateurs humanitaires élaborés soit par le HCR, soit dans le cadre du projet SPHERE, précisent par exemple, au sujet de l'eau potable, que celle-ci doit être accessible à moins de 500 mètres des lieux de vie des personnes, les distances en cause étant en l'espèce situées entre 4 et 5 kilomètres, ce qui représente une heure de marche aller, et qu'il faut se rendre à deux distributions par jour.
Les indicateurs humanitaires élaborés soit par le HCR
précisent par exemple, au sujet de l'eau potable, que celle-ci doit être accessible à moins de 500 mètres des lieux de vie
La solution retenue par le juge est d'autant plus critiquable que, lors de l'audience, les représentantes et représentants des associations ont relayé les témoignages reçus des exilés, qui faisaient part de leur épuisement et de la difficulté trop importante de faire plusieurs heures de marche quotidiennes pour se rendre sur des lieux de distribution, par ailleurs souvent perçus comme dangereux par les personnes vulnérables. Ces témoignages ainsi que l’insuffisance des lieux de distribution à Calais étaient corroborés par les observations du Défenseur des droits.
Un juge qui ignore la réalité des associations
Pour justifier sa décision, le juge des référés a encore considéré que les associations pouvaient toujours procéder à des distributions en centre-ville, en se décalant de quelques centaines de mètres pour sortir du périmètre de l'arrêté. Mais en raisonnant ainsi, le juge a ignoré la réalité dont sont venus témoigner les associations, à savoir le harcèlement policier dont ils font l'objet depuis l'édiction de cet arrêté, qui les a déjà conduits à devoir suspendre plusieurs distributions – au détriment évident des personnes à qui elles portent assistance. L’effet dissuasif de ce harcèlement est d’autant plus manifeste que les sanctions pénales encourues du fait de l’arrêté sont très lourdes.
Dans ces conditions, nos organisations ont décidé de saisir immédiatement le Conseil d’Etat, par l’intermédiaire de la SCP Spinosi & Sureau, et de former appel de cette ordonnance afin que soit consacrée l’évidente primauté du principe de fraternité – dont découle "la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour" – par rapport à l'incessante, cruelle et au demeurant inefficace traque, selon les termes employés par le Défenseur des droits dans son rapport de 2018, menée par l'Etat à l'encontre des personnes exilées et de leurs soutiens.