Yémen : La crise alimentaire s’aggrave et près de la moitié de la population peine à trouver suffisamment de nourriture.
16.10.2025

© AFP
Selon les données les plus récentes, le Yémen est désormais le troisième pays au monde le plus touché par la crise alimentaire¹. Près de la moitié de la population souffre de la faim et près de la moitié des enfants de moins de cinq ans présentent une malnutrition chronique². À l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, des organisations internationales et nationales présentes au Yémen appellent à une action urgente pour répondre à la crise alimentaire qui s’accentue dans le pays.
Le Yémen traverse une crise humanitaire sans précédent. Le nombre de personnes qui manquent de nourriture ne cesse d’augmenter, et une famille sur trois souffre de famine sévère ou modérée. Plus de cent districts sont désormais confrontés à une situation alimentaire critique, marquant une hausse sans précédent des niveaux de malnutrition à l’échelle nationale³. Dans le district d’Abs dans le gouvernorat d’Hajjah, le taux de malnutrition a explosé et des enfants meurent de faim. À Hodeïda et à Taëz, une hausse de 15 à 30 % de la malnutrition aigüe est prévue d’ici la fin de l’année.⁴
La situation se dégrade rapidement. D’ici le début de l’année prochaine, plus de 18 millions de personnes au Yémen risquent de se trouver confrontées à des niveaux catastrophiques de manque de nourriture, et près de 41 000 d’entre-elles seront menacées par la famine⁵.
Dans tout le pays, les familles sont désormais confrontées à des choix impossibles : les parents sautent des repas pour laisser manger leurs enfants, vendent leurs terres, leur bétail ou le peu de biens qu’ils possèdent juste pour survivre. « Il y a des jours où j’envoie ma fille chez son grand-père juste pour qu’elle puisse manger, alors que moi, je ne mange rien. Certains jours, nous nous nourrissons uniquement de pain et de thé. En tant que mère, c’est insupportable« , a confié une mère originaire d’Al Dhale.
Les impacts de la crise actuelle touchent toutes les générations. Les enfants figurent parmi les plus sévèrement affectés. La faim compromet leur développement physique et cognitif, augmentant ainsi les risques à long-terme pour leur santé. De plus, elle leur fait perdre tout espoir en l’avenir. Les familles luttent pour survivre, et nombre d’entre-elles ont été contraintes de retirer leurs enfants de l’école, de les faire travailler, ou de les marier précocement. Cette situation les expose à des nouveaux risques.
FACTEURS DÉTERMINANTS
Les conflits, l’effondrement économique, les chocs climatiques et le manque d’eau potable plongent le Yémen dans une situation de famine. Des années de guerres et de déplacements ont affaibli les moyens de subsistance, restreignant l’accès aux services de santé et de nutrition de base. Comme il est fréquemment observé, les femmes et les filles sont disproportionnellement affectées. Aujourd’hui, les efforts de relèvement sont au point mort. La hausse des prix alimentaires, la dévaluation monétaire et la fragmentation économique enfoncent des millions de personnes plus profondément dans la crise. Les dernières inondations survenues en août dernier montrent clairement les conséquences du changement climatique sur la disponibilité des denrées alimentaires, avec la destruction des terres agricoles, du bétail et d’autres sources essentielles de subsistance.
Bien que la situation demeure complexe dans l’ensemble du Yémen, la détention de membres du personnel humanitaire dans les gouvernorats du Nord a davantage entravé les opérations pour acheminer une aide vitale à la population. Parmi ces restrictions figurent celles imposées aux travailleuses humanitaires yéménites. Ces dernières ne peuvent pas voyager sans être accompagnées d’un tuteur masculin, limitant ainsi l’accès de la population à l’aide humanitaire.
La famine et la malnutrition infantile ont atteint des niveaux catastrophiques ayant mené à la mort d’enfants⁶, à cause de coupes budgétaires massives imposées à l’aide internationale. Ces réductions ont également entrainé la fermeture de plus de 2 800 services de traitements vitaux, soit près de la moitié des programmes de nutritionnels vitaux⁷. La plupart des chaînes d’approvisionnement, qui alimentent des millions d’enfants souffrant de malnutrition ainsi que des femmes enceintes et allaitantes, subissent une forte pression. Les mesures prises par le Yémen en matière de sécurité alimentaire et de nutrition atteignent un niveau historiquement bas depuis dix ans. À peine 10 % des besoins financiers sont couverts⁸ et ce, malgré des besoins croissants.
Aller plus loin dans la mise en œuvre de solutions efficaces
Ces dix dernières années, les organisations internationales et locales présentes au Yémen ont contribué à la lutte contre la famine et sauvé de nombreuses vies. Nous avons restauré les systèmes d’irrigation, fourni une aide financière et assuré des formations professionnelles afin d’aider les familles à retrouver leurs moyens de subsistance avec le soutien des bailleurs de fonds. Ces efforts ont permis de nourrir les enfants, d’aider les parents à percevoir un revenu et de relancer l’agriculture à petite échelle. Cependant, la tendance s’inversera en l’absence d’investissements réguliers et durables. Un nombre croissant de districts risquent de sombrer prochainement dans des niveaux catastrophiques de malnutrition sans un financement et des approvisionnements urgents.⁹
Les bailleurs de fonds doivent se mobiliser
En cette journée mondiale de l’alimentation, la communauté internationale doit se mobiliser plus activement en faveur de la mise en place de solutions concrètes. Les acteurs humanitaires doivent être en mesure de lutter contre la crise alimentaire croissante au Yémen, protéger les enfants et les familles et empêcher que les souffrances ne s’aggravent davantage. Il est également important de se pencher sur les principales causes de l’insécurité alimentaire au Yémen : mettre fin au conflit. Cette démarche nécessite des avancées significatives dans le processus de paix et des efforts de relèvement considérables, notamment la stabilisation de l’économie et des investissements en faveur d’une agriculture et des moyens de subsistance durables face au changement climatique. La reconstruction de la population yéménite dépendra d’une mobilisation commune combinant assistance vitale immédiate et réformes politiques et économiques structurelles.
Nous appelons :
- Les bailleurs de fonds et les partenaires internationaux à financer les besoins immédiats en termes de sécurité alimentaire et de moyens de subsistance identifiés dans le plan de réponse hautement prioritaire du cluster sécurité alimentaire et agriculture au Yémen10. Il conviendra de cibler les districts les plus touchés et la restauration des chaines d’approvisionnement essentielles. Ce soutien permettra de fournir des services nutritionnels vitaux, notamment le maintien des opérations menées par les centres nutritionnels thérapeutiques et l’accès aux ressources médicales essentielles.
- Les bailleurs de fond et les partenaires internationaux à accroître leurs investissements dans les organisations nationales, effort essentiel pour faire progresser l’agenda de la localisation , tout en veillant à ce que les communautés bénéficient d’un soutien plus rapide et plus efficace.
- Les bailleurs de fonds et les partenaires internationaux à plaider ensemble en faveur d’un accès humanitaire fondé sur des principes dans les gouvernorats du nord. Cette action facilitera l’acheminement d’une aide humanitaire ciblée et complémentaire sous forme de nourriture, de produits nutritionnels et d’argent.
- Les bailleurs de fonds et les partenaires internationaux à garantir de toute urgence la mise en place de mesures visant à protéger les communautés vulnérables, notamment les femmes et les enfants, dans le cadre des programmes humanitaires menés au Yémen. Celles-ci doivent répondre aux risques croissants auxquels ces populations sont confrontées en raison de l’intensification de la crise alimentaire, en particulier le travail infantile forcé, les mariages précoces et le décrochage scolaire.
- Les bailleurs de fonds chargés du développement à investir dans des stratégies de gestion des risques de catastrophes efficaces. Les initiatives visant à renforcer la solidité des infrastructures et la préparation des communautés, notamment les transferts sociaux, constituent un facteur essentiel pour réduire au minimum les risques liés au changement climatiques et protéger les populations les plus vulnérables.
- Les parties prenantes au conflit à faciliter l’accès humanitaire sans entrave et fondé sur des principes afin de garantir l’acheminement rapide d’une aide vitale et le rétablissement des communautés affectées par la famine et la malnutrition sévères. Tous les travailleurs humanitaires détenus arbitrairement doivent être libérés, tout en garantissant la sécurité et la continuité des opérations humanitaires.
- Avec le soutien de la communauté internationale, les parties prenantes au conflit, doivent fournir des efforts de paix. Ceux-ci doivent se traduire par des mesures économiques telles que la relance du paiement des salaires du secteur public, la reprise des opérations bancaires et la lutte contre la dépréciation de la monnaie. Ces mesures permettront de réduire les facteurs responsables de la faim et aideront les familles à se nourrir et à subvenir à leurs besoins de base.
Nos actions au Yémen