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11e rapport sur la mortalité des personnes sans chez soi en France

Articles 27.10.2023

Le Collectif Les Morts de la Rue (CMDR) présente la 11ème édition de son rapport « Dénombrer & Décrire » (D&D), toujours dans l’objectif de rendre visible une réalité occultée, parfois oubliée, mais pourtant bien réelle : la mortalité massive et précoce des personnes « sans chez-soi ».

Avec ce 11ème rapport D&D, une attention particulière sera portée à la mortalité des personnes sans domicile fixe selon le genre. La santé et mortalité des personnes en situation de rue à Paris sera également étudiée, en lien avec le programme « Pas de Santé Sans Toit » de Médecins du Monde.

Depuis des décennies, la rue ne cesse d’abîmer et de tuer

Fondés respectivement en 1993 et 2003, le programme « Pas de Santé Sans Toit » de Médecins du Monde (MdM) et le Collectif Les Morts de la Rue ne cessent d’alerter depuis leurs origines sur les conséquences de l’errance sur la santé et la mortalité des personnes à la rue. Ainsi, depuis le premier rapport D&D du CMDR, au moins 6 132 personnes « sans chez soi » sont décédées en France.

Les résultats de ce 11ème rapport D&D confirment une année 2022 aussi meurtrière que les années précédentes pour les personnes sans-abris. Avec au minimum 710 décès, l’année 2022 est l’une des années avec le plus grand nombre de décès signalés au CMDR : parmi eux, 624 personnes sans chez soi, 80 anciennement sans chez soi et 6 personnes récemment à la rue.

 

  • 710  

    personnes sans abris sont décédées au cours de l’année 2022 (minimum).

  • 1/5  

    des décès sont liés à une mort violente.

C’est un drame sociétal scandaleux. C’est aussi un iceberg car de nombreux décès attribuables au sans-abrisme échappent à notre attention, tout comme à celle du grand public et encore plus à celle des politiques.

Les résultats de ce 11ème rapport D&D confirment une espérance de vie très inférieure à la population générale : 49 ans, un écart d’espérance de vie de plus de 30 ans (> 80 ans en population générale), avec une espérance de vie de 46 ans pour les femmes sans chez soi et 50 ans pour les hommes sans chez soi. Et alors même que selon les Nations Unies, l’espérance de vie mondiale à la naissance pour les deux sexes est passée de 46,5 ans en 1950 à 71,7 ans en 2022.

Les décès de personnes sans chez soi ont concerné majoritairement des hommes (87%), décédés à 49 ans en moyenne. Ils ont connu un long parcours de rue, 11 ans en moyenne. Ces décès ont lieu tout au long de l’année, avec deux saisons plus marquées : en hiver (37%) et à l’automne (24%).

Parmi les lieux de décès identifiés, 41% ont eu lieu sur la voie publique (rue, parking, square, fleuve, …), 29% en établissements et structures de soins (hôpital, Lit d’Accueil Médicalisé, Lit Halte Soins Santé,…), 17% en hébergement (CHU, CHRS ou encore au domicile d’un tiers).

Parmi les causes de décès identifiées, près d’un décès sur cinq est lié à une mort violente (accident, agression, suicide), et près d’un sur sept lié à une maladie (tumeurs, maladies liées à l’appareil circulatoire et à l’appareil respiratoire). Cependant, la proportion de personnes dont la cause de décès est demeurée mal connue ou non précisée est importante (54%).

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Les personnes à la rue souffrent d’un état de santé particulièrement dégradé

L’état de santé des personnes « sans chez-soi » est très dégradé en raison des conditions de vie à la rue et de nombreux obstacles à l’accès aux droits et aux soins ; obstacles liés en grande partie aux difficultés des structures sanitaires et médico-sociales (manque de moyens, absence de coordination entre les secteurs, défaut de formation, etc.).

Cet état de santé dégradé au niveau mental comme physique se traduit très souvent par un vieillissement prématuré et des décès précoces. Le recensement D&D 2022 révèle que 32% des personnes décédées sur l’ensemble du territoire présentaient un problème de santé avéré (même si ces chiffres restent partiels). De la même manière, le programme « Pas de Santé Sans Toit » de Médecins du Monde, qui intervient auprès de personnes « sans chez-soi » à Paris à travers des accueils médico-sociaux et des maraudes médicalisées, est confronté très régulièrement aux décès de personnes rencontrées et parfois suivies par l’équipe.

On estime qu’obtenir un hébergement stable permet de gagner 10 ans d’espérance de vie.

Guillemette Soucachet

Coordinatrice du Programme Pas de Santé Sans Toit de Médecins du Monde

Sur la seule année 2022, 4 personnes suivies par le programme sont décédées, en rue, à l’hôpital ou en centre d’hébergement. La plus jeune avait 35 ans. Toutes avaient une santé extrêmement précaire, avec des pathologies chroniques souvent plurielles et non-traitées pendant plusieurs années. A un moment de leur parcours, toutes avaient également renoncé aux droits et aux soins auxquels elles pouvaient prétendre, en raison de la complexité de leur situation, de la non-priorisation de leur santé par rapport à d’autres besoins élémentaires non-satisfaits et plus urgents, ainsi qu’à la suite de mauvaises expériences vécues dans des structures sociales, sanitaires ou médico-sociales.

Ainsi, le Collectif Les Morts de la Rue et Médecins du Monde ne cessent de souligner chaque année les liens de causalité entre logement et santé, et donc entre absence de logement et mortalité.

Une inquiétude grandissante dans un contexte particulièrement tendu

Ces constats dramatiques sur l’impact de la rue sur la santé et la mortalité des personnes qui y vivent inquiètent d’autant plus le Collectif Les Morts de la Rue et Médecins du Monde que le nombre de personnes en errance ne cesse d’augmenter.

En effet, la Fondation Abbé Pierre a recensé en 2022 plus de 330 000 personnes sans domicile fixe en France, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Cette augmentation s’accompagne d’une évolution du profil des personnes à la rue : les femmes sont de plus en plus nombreuses, ainsi que les familles et les mineur.e.s.

La rue abîme la santé mentale et physique des personnes qui y subissent la pollution et l’insécurité.

Guillemette Soucachet

Coordinatrice du programme P2ST de Médecins du Monde

Les risques des JO2024

Par ailleurs, le Collectif Les Morts de la Rue et Médecins du Monde seront attentifs dans les prochains mois aux modalités d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (JOP) de Paris 2024.  En effet, l’expérience de ce type de méga-événements sportifs dans le monde révèle un risque avéré d’éloignement et d’invisibilisation des personnes en situation de précarité (personnes usagères de drogue, isolées à la rue, vivant en squat, etc.). A Paris et en Ile-de-France, les JOP 2024 ont déjà des conséquences délétères sur les populations en situation de précarité (expulsions des lieux de vie, fermetures de places d’hébergement, arrêtés sur les distributions alimentaires, etc.) et peuvent ainsi contribuer à une aggravation de la santé mentale et physique des personnes à la rue.

Rappelons aussi que l’accès de toutes et tous aux droits fondamentaux n’est toujours pas effectif alors que les situations de précarités autant sociales, qu’économiques ou sanitaires ne cessent de se démultiplier. Elles ne concernent pas seulement les marges de la population, mais son organisation sociale d’ensemble, et touchent aux fondements de notre société.

La loi de lutte contre les exclusions promulguée le 29 juillet 1998 devait permettre « un changement d’approche et d’échelle dans la mise en œuvre des politiques publiques ». Elle devait garantir l’accès aux droits de tous : emploi, logement, santé, éducation, citoyenneté et culture, et consacrait pour la première fois la participation des personnes les plus pauvres dans l’élaboration des politiques de lutte contre la pauvreté en instaurant une approche globale du sujet. 25 ans après, force est de constater que les gouvernements successifs se sont écartés de l’ambition initiale de cette loi.

Contacts

  • Bérangère Grisoni

    Présidente CMDR

    06 60 06 07 93

  • Chrystel Estela

    Coordinatrice du CMDR

    01 42 45 08 01 / 06 18 03 17 63

  • Adèle Lenormand

    Coordinatrice équipe D&D

    06 28 95 93 65

  • Guillemette Soucachet

    Coordinatrice Programme Pas de Santé Sans Toit
    (pour la partie 3)

    06 26 45 22 00