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Paris : à l’épreuve de la rue

Articles 12.09.2023
CASO Médecins du Monde Paris / Personnes vivant à la rue

© Pascal Bachelet

Le programme Pas de santé sans toit de la délégation Île-de-France de Médecins du Monde a 30 ans cette année. Un âge qui en dit long sur une situation qui ne cesse de se détériorer et à laquelle l’association répond par de la médiation en santé et par un accompagnement vers le soin et vers les institutions de droit commun.

L'essentiel

  • La situation
    Le mal-logement a des conséquences dramatiques sur la santé et le recours aux soins de celles et ceux qui y sont confrontés. Le programme Pas de santé sans toit de Médecins du Monde vise à améliorer l’accès aux droits et aux soins des personnes isolées vivant à la rue à Paris.
  • Les enjeux
    • Améliorer l’état de santé très dégradé des personnes à la rue
    • Lutter contre les obstacles rencontrés dans les structures médico-sociales et au niveau administratif
    • Favoriser l’accès au logement pour permettre une amélioration durable de la santé
  • Nos actions
    • Trois maraudes médicalisées par semaine
    • Un accueil médicosocial au centre d’accueil une fois par semaine
    • Plaidoyer pour un accès universel et de qualité aux soins, indépendamment de la situation et des consommations des personnes
    • Coordination et partage de pratiques avec les partenaires associatifs
  • Notre équipe
    L’équipe du programme Pas de santé sans toit est composée de deux salariés et de 25 bénévoles dont 10 médecins et 15 accueillants.

Il est 21 h lorsque sa silhouette, menue, courbée sous la douleur et la fatigue, apparaît dans l’encadrement de la porte des locaux de Médecins du Monde à Picpus . Aidée par un autre participant de l’accueil médicosocial que l’association tient tous les lundis soir, Louise, septuagénaire, hisse son caddy dans le local et rejoint le cercle où les conversations vont bon train. « Mes pieds me font atrocement souffrir, c’est insupportable », lâche-telle dans un soupir. Ne s’interrompant que le temps d’accepter un verre d’eau, le verbe précis et le timbre bas, la voilà lancée dans le récit de ses souffrances et des difficultés rencontrées pour faire soigner ses nombreuses pathologies.

Ici pour raconter

Car Louise, comme toutes celles et ceux qui sont réunis ce soir-là, traverse cette épreuve aux multiples effets qu’est le mal logement. Pour celle qui a longtemps dormi sur les bancs d’une église avant d’en être chassée, qui fréquente les Restos du Cœur pour manger, se lave et se repose dans des centres d’accueil de jour, la nuit c’est la rue , la pierre dure sous la hanche et la peur que l’on vole ses effets.

Le recensement organisé par la mairie de Paris dans le cadre de la première Nuit de la solidarité estivale, le 27 juin, l’a confirmé. L’été, les personnes à la rue sont nombreuses, plus nombreuses même qu’en hiver. Et les conditions de vie, quand le grand froid a cédé la place aux grosses chaleurs, sont tout aussi dégradées alors que les dispositifs d’aide se raréfient. « L’accueil médicosocial s’adresse aux personnes qui vivent à la rue, en squat ou en hôtel social, explique Guillemette Soucachet, coordinatrice du programme Pas de santé sans toit. Nous proposons un temps d’accueil social avec des bénévoles accueillants, des consultations avec un médecin. On essaie au maximum de favoriser la santé communautaire avec des temps d’échange et de partage d’expérience entre les personnes. » Et Louise d’évoquer les heures passées aux urgences, les traitements non remboursés, le labyrinthe des démarches administratives, les solutions provisoires pour se faire adresser son courrier, la perte de son téléphone, l’impossibilité de prendre des rendez-vous. « J’ai beaucoup de mal à marcher, je ne peux pas me déplacer sans savoir si je vais être reçue. »

Bertrand Chatelain, médecin bénévole pour Médecins du Monde depuis vingt-cinq ans, assure les consultations. Parmi les nouveaux venus à l’accueil ce soir-là, Lamine, désorienté après une rupture familiale, cherche une solution d’hébergement, évoque des troubles intimes. Il est invité à revenir au CAOA¹ le lendemain pour être orienté vers un suivi social et psychologique. « Les gens viennent ici pour raconter, souligne Bertrand Chatelain, parfois les mêmes histoires, c’est très important pour eux. Ça les aide à vivre. »

On essaie au maximum de favoriser la santé communautaire avec des temps d’échange et de partage d’expérience entre les personnes.

Maraude sur signalement

Jean Ripoll, médecin conseil à la Sécurité sociale le jour et maraudeur la nuit depuis quelques mois seulement, est quant à lui bénévole sur le volet mobile du programme. « Je suis venu un peu sans savoir à quoi m’attendre et je dois dire que ça m’a plu assez vite, de me retrouver dans Paris le soir, dans une posture différente, de chercher quelqu’un un assis quelque-part et d’entamer la conversation. » C’est ainsi que fonctionnent les maraudes organisées trois fois par semaine par Médecins du Monde, les mardis, mercredis et jeudis.

Sur signalement d’autres acteurs associatifs et sociaux qui sillonnent la capitale, des personnes à la rue, en rupture de soins, malades, sont identifiées et visitées là où elles ont été vues. Trousses de soins bouclés, l’équipe bénévole composée d’un médecin et d’accueillants embarque pour trois à quatre heures de maraude. Sur leur feuille de route, des prénoms, des maux et des histoires jalonnées d’embûches.

Premier arrêt et première déconvenue. Sergueï, qui présente des douleurs aux jambes et pourrait bénéficier d’un suivi pour réduire sa consommation d’alcool, ne se trouve pas aux abords de l’église du XVIe arrondissement où il a été repéré. L’équipe apprend qu’il a été blessé au cours d’une rixe et a dû se déplacer. C’est l’une des conséquences de l’instabilité de la vie à la rue : un quart des rencontres en moyenne n’aboutit pas. Mais au fil des heures, du XVIe au XXe arrondissement, l’équipe médicosociale parvient à voir d’autres personnes. Emil, ressortissant roumain, n’ose pas se rendre dans une structure de santé par crainte de laisser ses affaires sans surveillance, il sera orienté vers un Pass² dentaire où il pourra être soigné gratuitement et vers une consigne sociale où il pourra faire garder son paquet . « Il y a une perception positive de Médecins du Monde qui facilite les contacts », assure Jade Lavergne, accueillante bénévole.

Renforcé par un plaidoyer auprès de la mairie de Paris et de l’État pour l’accès au logement, mais aussi auprès des structures médicales pour une prise en charge qui tienne compte de la réduction des risques et s’appuie sur la médiation, le Le programme Pas de santé sans toit propose ainsi un suivi qualitatif à un public ciblé. Une jauge, alors qu’aucune décision politique n’émerge pour lutter réellement contre la grande précarité et l’isolement.

Thomas Flamerion

¹ Centre d’accueil, d’orientation et d’accompagnement.
² Permanence d’accès aux soins de santé.

 

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Alexandre Baroin, Médiateur en santé

« Mon travail consiste à accompagner nos équipes bénévoles et à faire le lien avec les structures partenaires, les hôpitaux et autres. À faire une cartographie des acteurs que l’on peut solliciter pour répondre aux besoins de notre public et à transmettre l’information aux bénévoles pour qu’ils puissent orienter correctement les personnes rencontrées. J’anime également notre réseau de partenaires afin de faciliter les orientations, de travailler en amont avec les accueils de jour, par exemple, à identifier les publics accueillis et de vérifier qu’une solution adaptée peut être apportée. Le programme en lui-même est un programme de médiation en santé.C’est-à-dire que notre travail est d’accompagner les personnes vers les soins et d’être l’interface avec les institutions de droit commun. Nous sommes la seule équipe de maraude et le seul accueil de soirée sur tout Paris à avoir des médecins. Notre expertise nous permet de conseiller nos différents partenaires sur un suivi adapté. »