Médecins du Monde victime d’un vol de Carte Bleue, la situation sous contrôle
3 minutes
En cours de lecture Au Casa comme chez soi
Articles

Au Casa comme chez soi

Articles 15.06.2022

© Charly Kodjo

À Abidjan, où l’usage de drogues condamne au rejet et à la répression, Médecins du Monde travaille à améliorer l’offre de soins à destination de celles et ceux qui en consomment et à défendre leurs droits. Un travail mené main dans la main avec les principaux concernés, des partenaires locaux et le système de santé.

L’essentiel

Comme dans nombre de pays dans le monde, l’usage de drogues est criminalisé en Côte d’Ivoire et les personnes qui en consomment sont marginalisées et exclues des soins. Dans une démarche communautaire de promotion de la santé et afin de lutter contre les risques épidémiques, Médecins du Monde intervient auprès d’eux à Abidjan et dans trois autres villes du pays.

Enjeux

  • Promouvoir et renforcer la réduction des risques (RDR) et l’accès à des services de santé adaptés aux personnes usagères de drogues
  • Impliquer les personnes usagères de drogues dans les projets et les politiques qui les concernent

Nos actions

  • Accueil et suivi médico-social des personnes dans un lieu dédié
  • Accompagnement de centres de santé partenaires pour l’intégration de services de RDR
  • Activités d’allers-vers pour rencontrer, informer et dépister les personnes sur leurs lieux de vie et de consommation
  • Formation des professionnels à la prise en charge de ces publics spécifiques
  • Plaidoyer pour l’évolution des politiques liées à la consommation de drogues

Droits et santé pour les usagers de drogues en Cote d'Ivoire

«Y a pas draps ! » Au Casa, le centre d’accueil, de soins et d’accompagnement créé en plein cœur d’Abidjan par Médecins du Monde et son partenaire Espace confiance, l’expression est sur toutes les lèvres. En nochi, l’argo ivoirien, cela veut dire « Pas de problèmes ! » Une devise que Mathieu Gnenaole Hie, infirmier et chef du programme de Médecins du Monde pour la réduction des risques en Côte d’Ivoire, semble avoir fait sienne.

Tout sourire, il ouvre les portes du centre : « C’est un endroit discret où les personnes peuvent se rendre en toute tranquillité ». Invisible depuis la rue, ce lieu chaleureux et coloré surprend par son calme. Sur un banc du préau, un homme s’est assoupi non loin d’un groupe qui discute et chahute. Adossé au local de l’assistante sociale, un autre attend son tour parmi ceux qui viennent là se laver et nettoyer leurs vêtements. Depuis son ouverture en 2015, le centre est devenu incontournable pour les personnes usagères de drogues de la capitale. Comme l’explique Mathieu Gnenaole Hie, « ici, elles savent qu’elles seront accueillies avec respect et bienveillance, elles que l’on a habi- tuées au rejet ».

© Charly Kodjo

LE GHETTO, C’EST LEUR FAMILLE

C’est pour répondre à une problématique de santé publique – prévenir les épidémies de tuberculose et de VIH – que le Casa voit le jour. Un enjeu sanitaire pour lequel Médecins du Monde identifie l’usage de drogues, répandu dans le pays, comme facteur clé.

« Au gré de nos activités d’aller vers, nous avons constaté que la présence de la tuberculose était plus de deux fois supérieure parmi les usagers des ‘‘ghettos’’ d’Abidjan que dans le reste de la population», se rappelle Stéphanie Baux, coordinatrice générale de Médecins du Monde en Côte d’Ivoire. Aussi appelés « fumoirs », ces sites informels – où l’on consomme « pao » (héroïne), « yo » (crack), ou encore « cali » (cannabis) – rassemblent dans la capitale près de 10 000 usagers de drogues, particulièrement exposés aux épidémies par leurs modes de consommation et leurs conditions de vie très précaires.

« Le constat était d’autant plus préoccupant que ces personnes sont souvent stigmatisées et mises à l’écart. Leur permettre d’avoir accès à l’information, au dépistage et aux traitements était donc un enjeu crucial pour nous. »

Au Casa, c’est donc un accompagnement global et sans jugement qui est mis en place, articulé autour des personnes usagères. Au centre, pensé comme un lieu de répit et de solidarité, on accède gratuitement à un suivi social, médical et psychologique, « particulièrement important compte tenu de la déshumanisation dont souffrent ces personnes, de la part de leurs familles notamment », souligne Mathieu Gnenaole Hie. Pour remédier à ce rejet, l’équipe du Casa travaille étroitement avec leurs proches pour rompre l’isolement.

Une volonté de « faire le lien » que l’on retrouve dans le travail de sensibilisation des acteurs de santé. Au centre de l’association Asapsu, dans le quartier populaire de Yopougon, le personnel a ainsi été formé à offrir un accueil digne, indifférencié et adapté aux patients consommateurs de drogues. « Quand ces professionnels ne sont pas formés, cela créé de la discrimination dans l’accès aux soins », explique Khalil, agent communautaire et lui-même consommateur.

« Par exemple, quand un usager perd son traitement parce qu’il était inconscient, parce qu’il a dû fuir une descente de police, ou tout simplement parce que ses conditions de vie sont précaires, un soignant non formé lui dira que c’est de sa faute et il y aura rupture de soin. Nous, on connaît leur réalité et on fait tout pour que le lien ne se rompe jamais. »

Le rôle clé des pairs

Comme Khalil, ce sont des dizaines de personnes issues du « milieu » de la consommation qui portent le programme de Médecins du Monde. On les appelle les éducateurs et éducatrices pairs, « et nous apprenons beaucoup à leurs côtés », affirme Mathieu Gnenaole Hie. Rencontrés sur le terrain et formés aux principes et techniques de la réduction des risques, ces femmes et hommes s’engagent chaque jour pour promouvoir la santé. Maraudes dans les fumoirs, information, dépistages rapides, distribution de matériel stérile et de préservatifs, orientations vers les centres de soins, etc. Rassurants parce qu’ils partagent une même expérience, ces pairs sont de redoutables acteurs de sensibilisation qui assurent la passerelle entre l’offre de soins et les personnes usagères. « Ils savent que l’uniforme, c’est juste un « truc en plus », le signe que tu as un message, mais qu’il n’y a aucune différence entre eux et toi. Ils te font confiance, et cela renforce la durabilité de notre accompagnement », confie Ezechiel, un autre éducateur pair rencontré au Casa.

Accueillir, soigner, accompagner, former, aller-vers, etc. Sept ans après l’ouverture du programme, l’approche de Médecins du Monde et de tous les acteurs impliqués porte ses fruits. « On arrive à des statistiques de suivi et de stabilisation très supérieures à la moyenne nationale : 30 % de nos patients atteints du VIH sont stabilisés, se réjouit Mathieu Gnenaole Hie, plein de fierté. C’est énorme, même nos partenaires de santé n’en reviennent pas! » Mais au-delà des chiffres, ce sont aussi les mentalités qui changent. « Les habitants sont plus tolérants et des familles se reconstituent. »

Une belle victoire sur l’exclusion.

 

– Lou Maraval

Hamidou Kone, Addictologue et chef de projet à San Pedro

« En Côte d’Ivoire, la loi qui encadrait jusqu’alors la politique de drogues était datée et répressive. De fait, le rapport de la police aux usagers est compliqué, parfois violent. En prison, 25 % des personnes sont détenues parce qu’elles sont consommatrices, ce qui entraîne de la surpopulation et des risques sanitaires. C’est pourquoi nous menons un plaidoyer auprès des autorités depuis le lancement du programme. En décembre 2021, l’Assemblée nationale a adopté une nouvelle loi sur les drogues.

Incluant l’approche réduction des risques, cette loi va permettre l’amélioration des droits et de la santé des usagers, avec notamment la généralisation du traitement de substitution à la méthadone, jusqu’alors uniquement disponible au Casa d’Abidjan.

Mais nous ne nous arrêterons pas là. Aujourd’hui, nos équipes mettent en place des programmes similaires à San Pedro, Bouake et Yamoussoukro, pour que ces avancées puissent bénéficier à l’ensemble du pays. »