Prix des médicaments : la France ne doit pas céder à la surenchère des Big Pharma

  • Prix des médicaments : la France ne doit pas céder à la surenchère des Big Pharma

Cette tribune a été publiée dans l’Humanité le 14 mai 2025

 

Dans une tribune publiée le 23 avril dans le Financial Times, les PDG de Sanofi et Novartis appellent l’Union européenne à relever les prix des médicaments innovants. Pour appuyer leur position, ils invoquent le « déclin de l’Europe », dénoncent la « perte de compétitivité de l’industrie pharmaceutique européenne », tout en vantant les politiques américaines, qu’ils présentent comme « propices à un accès large et rapide aux traitements ».

 

Derrière cette prise de position, ce ne sont pas les considérations de santé publique qui dominent, mais bien celles d’acteurs financiers, avant tout soucieux de défendre une certaine idée du rendement. En 2024, Sanofi a réalisé un bénéfice net de 5,7 milliards d’euros¹. Novartis, de son côté, a enregistré un bénéfice net de 11,9 milliards de dollars². Des montants qui, dans un contexte où les systèmes publics peinent à financer les soins essentiels, suffisent à démasquer l’imposture.

 

Ces niveaux de rentabilité, comparables à ceux de secteurs comme le luxe, sont aux antipodes de  la  prétendue crise de compétitivité de ces entreprises.

 

Aux Etats-Unis, le système de fixation des prix est profondément inégalitaire

En appelant à calquer les prix européens sur ceux pratiqués aux États-Unis, les deux dirigeants promeuvent une vision du médicament guidée moins par l’intérêt des patient.e.s que par les attentes des marchés financiers. Le système américain de fixation des prix est profondément inégalitaire. En 2024, près de 30 % des adultes déclarent avoir renoncé à un traitement prescrit en raison de son coût3. Le coût élevé des médicaments entraîne aussi un endettement médical massif : une autre enquête de 2022 montrait que 41 % des adultes devaient rembourser une dette liée à des frais médicaux ou dentaires4. En outre, ce système, marqué par l’absence d’encadrement public des prix, contribue à fausser les négociations en Europe ou ailleurs dans le monde, en imposant des références tarifaires artificiellement élevées.

 

Se posant en permanence comme victimes des régulations, les firmes pharmaceutiques imposent l’opacité sur l’ensemble du cycle de vie des produits médicaux — coûts de recherche et développement, investissements publics massifs et prix sciemment dissimulés — et en profitent pour  imposer des tarifs sans réelle justification.

 

Les menaces de Sanofi et Novartis procèdent d’une stratégie bien rodée : agiter le spectre du décrochage industriel européen pour obtenir des avantages supplémentaires. Ces industriels ne s’embarrassent d’aucune élégance, puisque les menaces contre l’Union européenne, les États membres et les habitants tirent avantage de la guerre commerciale de Trump. Autrement dit, ces entreprises s’allient sans scrupule à un pouvoir de plus en plus autoritaire pour produire non pas plus de santé… mais de profits.

 

Reprendre le pouvoir sur la politique du médicament : la santé n’est pas une marchandise

 

S’ils cèdent, les États européens perdront leur capacité à réguler le marché, à orienter des investissements vers les besoins de santé publique, et à garantir l’équité d’accès aux soins pour toutes et tous aujourd’hui et demain.

 

La France, qui joue un rôle clé dans les négociations européennes, doit faire entendre une voix forte. Elle doit défendre les mesures de transparence comme fondement d’une politique du médicament plus juste. Elle doit affirmer que la santé n’est pas une marchandise.  Il est temps de faire les comptes de ce que Sanofi accumule comme bénéfices et avantages, et d’imposer la transparence comme préalable indispensable à toute politique publique de soutien au secteur pharmaceutique.

 

Nous appelons le gouvernement français et l’Union européenne à ne pas céder au chantage indécent de multinationales opportunistes. Face à la crise des systèmes de santé, les profits des grands laboratoires pharmaceutiques ne peuvent plus être la boussole de notre politique pharmaceutique. Notre santé, nos hôpitaux, nos solidarités requièrent un changement radical vis-à-vis de ces grands groupes.

 

 

  1. Sanofi, Press Release: Q4 sales growth of 10.3%, 2024 business EPS guidance exceeded, and strong business EPS rebound expected in 2025, disponible en ligne : https://www.sanofi.com/en/media-room/press-releases/2025/2025-01-30-06-30-00-3017713
  2. Novartis, 2024 Annual Report – Interim Financial Results Q4/Full Year, disponible en ligne : https://www.novartis.com/sites/novartis_com/files/2025-01-interim-financial-report-en.pdf
  3. Enquête menée du 26 août au 4 septembre 2024 auprès d’un échantillon national représentatif de 1 312 adultes américains KFF, Public Opinion on Prescription Drugs and Their Prices  https://www.kff.org/other/poll-finding/public-opinion-on-prescription-drugs-and-their-prices/ ; KFF Health Tracking Poll (Aug. 26-Sept. 4, 2024) https://www.kff.org/medicare/poll-finding/kff-health-tracking-poll-september-2024-support-for-reducing-prescription-drug-prices-remains-high/
  4. KFF (Kaiser Family Foundation), Americans’ Challenges with Health Care Costs, enquête 2022. https://www.kff.org/health-costs/issue-brief/americans-challenges-with-health-care-costs