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L’AME n’est pas une faveur, mais un dispositif qui protège l’ensemble de la société

  • L’AME n’est pas une faveur, mais un dispositif qui protège l’ensemble de la société

Dans une tribune au « Monde », un collectif de plus de 3 500 soignants considère que les récents projets de décret visant à réformer l’aide médicale d’Etat semblent plus motivés par des considérations politiques que par de véritables enjeux de santé publique. S’ils aboutissaient, ils pourraient avoir des conséquences désastreuses.

Début septembre, la presse a révélé deux projets de décret visant à réformer l’aide médicale d’Etat (AME), qui permet aux personnes étrangères en situation irrégulière d’accéder aux soins. Ces textes prévoient de durcir les conditions d’octroi du dispositif, en restreignant les pièces permettant de justifier de son identité, en intégrant les ressources du conjoint en séjour régulier dans le calcul d’éligibilité, mais aussi en réduisant encore le panier de soins.

Ces annonces, dévoilées à la veille d’échéances politiques importantes, semblaient davantage guidées par des calculs électoraux que par des considérations de santé publique. Bien que ces annonces aient été provisoirement suspendues avec la démission du gouvernement, la rencontre entre le nouveau premier ministre et les auteurs du rapport sur l’AME est un signal laissant craindre une volonté persistante de réforme de ce dispositif. Une fois encore, l’AME est instrumentalisée, au prix de la santé de personnes particulièrement vulnérables. Pourtant, toutes les évaluations réalisées montrent que les réformes du dispositif n’ont aucune efficacité prouvée sur le contrôle migratoire. Leurs conséquences négatives sur la santé des patients et sur le fonctionnement de notre système de soins sont, elles, déjà bien connues.

En tant que soignants, nous rappelons que l’accès aux soins est un droit humain fondamental, inscrit dans les engagements internationaux de la France et au cœur de notre éthique professionnelle. L’AME n’est pas une faveur, mais un dispositif de santé publique qui protège l’ensemble de la société. Empêcher une partie de la population de se soigner, c’est provoquer des complications médicales évitables et de coûts plus lourds pour les hôpitaux. Dans un système de santé déjà fragilisé, ces reports d’activité ne peuvent qu’aggraver la crise hospitalière.

La restriction des pièces justificatives, avec l’exigence d’un document d’identité comprenant une photographie ignore la réalité des situations vécues par les personnes concernées par l’AME. Nombre d’entre elles sont en situation précaire, ont perdu leurs papiers, se les sont fait voler ou confisquer, ou vivent dans des conditions où il est impossible de conserver des documents en sécurité. Refuser l’accès à l’AME sur cette base revient à priver de soins des personnes déjà en grande précarité. Cette mesure n’a aucun fondement médical, et s’oppose aux constats répétés de la Caisse nationale d’assurance maladie, qui souligne le caractère extrêmement marginal de la fraude.

La conjugalisation des ressources est tout aussi problématique. Le plafond de revenu pour bénéficier de l’AME est déjà très bas – 862 euros/mois pour une personne seule – ce qui exclue nombre de travailleurs sans papiers aux revenus modestes. Si les revenus du conjoint français ou étranger en séjour régulier sont désormais pris en compte, la situation deviendra encore plus restrictive. Dès lors que le revenu du foyer dépasse le plafond fixé pour un couple – 1292 euros par mois – la personne en situation irrégulière perdra tout droit à l’AME et devra assumer seule l’intégralité de ses frais de santé, ou renoncer aux soins. Ce mécanisme touchera particulièrement les femmes étrangères en grande précarité, souvent déjà fragilisées par des situations de dépendance ou de violence. Ces femmes se retrouveront sans droit ouvert à l’AME, ni accès à aucune autre protection. C’est une régression grave, tant pour leur santé que pour leur autonomie.

Il convient de rappeler que l’AME ne couvre pas, ou très marginalement, certains postes de soins essentiels comme les lunettes, les prothèses auditives et les soins dentaires complexes. L’instauration d’accord préalable pour d’autres actes, tels que la kinésithérapie, les dispositifs optiques, auditifs ou dentaires, aurait en revanche des conséquences très concrètes : elle alourdirait inutilement les démarches administratives, compliquerait le travail des médecins et des agents de l’Assurance-maladie, et retarderait la prise en charge de patients atteints de pathologies graves.

Priorité à l’accès aux soins

Des études comme celle de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé ont démontré que les bénéficiaires de l’AME ne consomment pas plus de soins que les autres patients. Par ailleurs, pour une même maladie, les hospitalisations sont plus longues et plus coûteuses lorsque les patients n’ont pas accès à l’AME. Depuis des mois, les soignants défendent ce dispositif.

Le rapport de 2023 sur l’AME, aujourd’hui convoqué pour justifier ces décrets, a été largement contesté dès sa publication par les professionnels de santé, les sociétés savantes et les institutions spécialisées. Nos messages sont constants : affaiblir l’AME, c’est affaiblir la santé publique. Nos priorités restent l’accès aux soins, la simplification des démarches, le renforcement de l’hôpital et des dispositifs de proximité.

Nous, soignants, appelons à retirer ce projet de décret, à conserver et à dépolitiser l’AME, à supprimer le plafond de revenu existant et les exigences de pièces administratives impossibles à fournir afin de garantir un accès effectif au droit à la santé pour tous en France.

Premiers signataires

François Bourdillon, médecin de santé publique, ancien directeur de Santé publique France ; Julie Chastang, médecin généraliste au centre municipal de santé de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) ; Jean-François Corty, président de Médecins du monde ; Anne-Laure Féral Pierssens, cheffe de service au SAMU 93-SMUR-Urgences de Bobigny ; Agnès Giannotti, médecin généraliste à Paris ; Rémi-Julien Laporte, responsable de la permanence d’accès aux soins de santé (PASS) pédiatrique de l’AP-HM, à Marseille ; Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat, à Paris ; Rémi Salomon, pédiatre à Paris ; Muriel Schwartz, cadre socio-éducatif à la coordination régionale des PASS de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ; Nicolas Vignier, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Avicenne, à Bobigny.

Liste des signataires complètes.