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Famine à Gaza :
« Nous faisons face à une instrumentalisation éhontée de l’aide humanitaire »

  • Famine à Gaza : « Nous faisons face à une instrumentalisation éhontée de l’aide humanitaire »

Tribune publiée dans La Croix.

 

Alors que l’armée israélienne a déclaré ce 29 août que Gaza-Ville était désormais une « zone de combat dangereuse » et annoncé que la « pause tactique », censée permettre le passage des convois de l’ONU, ne s’appliquera plus, le docteur Jean-François Corty alerte sur la gravité de la situation pour la population gazaouie.

Savoir qu’un drame humanitaire majeur est imminent à Gaza et ne rien faire pour l’empêcher relève, pour la communauté internationale, au mieux d’une lâcheté face à ses engagements en droit international, au pire d’une faillite morale en cautionnant une politique suprémaciste coloniale où le droit à la vie n’est pas le même pour tous.

De fait, l’utilisation de la faim comme arme de guerre par le gouvernement israélien et son impact sur les civils est une réalité documentée à Gaza sur laquelle alertent depuis de nombreux mois les ONG humanitaires et l’ONU. Cette dernière a d’ailleurs officiellement déclaré le 22 août 2025 l’état de famine dans la bande de Gaza. Près d’un demi-million de personnes se trouvent désormais confrontées au niveau le plus grave d’insécurité alimentaire dans l’enclave palestinienne, exposées à un danger de mort imminent.

Une extension de cette réalité sanitaire morbide impliquant privation, malnutrition et mortalité est prévue dans les autres gouvernorats du centre et du sud de la bande de Gaza d’ici à fin septembre, si aucune action tangible n’est engagée. Cette officialisation de la famine qui résulte d’actes graves observés depuis plusieurs mois et qui constitue un crime de guerre, sonne comme une injonction aux États du monde, tous signataires des conventions de Genève de 1949, d’agir pour mettre fin à ce drame. Il y va du respect du droit international, de sa survie comme de celle de deux millions de civils à l’agonie.

Destruction massive et stratégie de siège

Depuis les atrocités du 7 octobre 2023, l’armée israélienne mène des opérations destructrices quasi incessantes. Elles ont déjà causé la mort d’au moins 62 000 personnes dont plus de 83 % de civils – en majorité des femmes et des enfants. Ce chiffre n’inclut pas les patients morts, faute de soins, ni les corps restés sous les décombres.

Près de 150 000 blessés sont à dénombrer, dont au moins 10 % qui devraient être pris en charge dans des dispositifs de soins adaptés qui n’existent plus à Gaza. Dans le même temps, l’armée israélienne s’est aussi attachée à détruire plus de 98 % des terres agricoles et l’entièreté des animaux d’élevage, la production en eau potable et en électricité. La pêche est interdite, rendant impossible toute autonomie alimentaire. On observe ainsi la création de conditions de dépendances totales vis-à-vis d’intrants extérieurs et d’aide alimentaire alors même que celle-ci a toujours été volontairement insuffisante, du fait des restrictions imposées par Israël.

Alertes ignorées et aggravation de la crise

Dans ces conditions, les premiers morts d’enfants liées à la malnutrition et à la déshydratation à Gaza ont été signalés dès février 2024. En juillet de la même année, dix experts de l’ONU accusaient déjà les autorités israéliennes de mener une campagne de famine ciblée après avoir identifié 34 décès liés à la malnutrition. Le Programme alimentaire mondial mettait en garde contre une famine imminente avec une insécurité alimentaire croissante pour 500 000 personnes. En mai 2025, Médecins du monde publiait un rapport soulignant chez ses patients des taux de malnutrition aiguë alarmants à hauteur de 17 % en novembre 2024.

Deux mois plus tard, en juillet 2025, une femme enceinte ou allaitante sur trois accueillies dans nos cliniques souffrait de malnutrition aiguë. Face à ces chiffres fortement corrélés à l’intensité du siège, Médecins du monde appelait les États tiers à une mobilisation significative. Elle n’est jamais arrivée. De fait, la situation a empiré malgré les alertes. À ce jour, on compte 273 morts liés à la malnutrition, chiffre probablement sous-évalué, sachant que ce nombre de décès a quadruplé entre mi-juillet et mi-août 2025.

Une aide humanitaire instrumentalisée

Dans ce contexte, plusieurs pays dont la France, les Émirats arabes unis, la Jordanie, ont repris les largages aériens. Cette réponse inappropriée s’est accompagnée d’indignations politiques relevant davantage de gesticulations communicationnelles que de pressions tangibles. L’Europe n’a pas pris les mesures adéquates pour faire pression sur le gouvernement israélien afin de mettre fin aux violations du droit international et permettre le passage de l’aide humanitaire ; notamment via la remise en question de ses accords d’associations avec Israël. Les États-Unis quant à eux poursuivent leur soutien inconditionnel.

À cela se sont ajoutées une privatisation et une militarisation de l’aide confiée en grande partie dès mai 2025 à la Fondation humanitaire pour Gaza (GHF) aux dépens des Nations unies et des ONG humanitaires progressivement mises à l’écart. Cette organisation opaque constituée de mercenaires et dirigée par un proche de l’administration Trump a occasionné des milliers de victimes venues récupérer de quoi survivre lors de distributions chaotiques.

On l’aura compris : la famine créée à Gaza était prévisible et évitable, preuve en sont les multiples alertes sans effets des acteurs humanitaires depuis plusieurs mois. Ce qui était moins envisageable, c’est l’instrumentalisation éhontée de l’aide humanitaire, devenue outil mortifère d’oppression sur de nombreux sites de distribution. Et ce qui l’était encore moins, c’est l’impunité dont bénéficierait le régime israélien dans ce contexte d’annihilation massive et la manière dont la plupart des États, y compris démocratiques, s’affranchiraient des règles du droit international, famine ou pas.