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Crise au sahel : le discours de Cécile Yougbaré à l’ONU

Articles 14.01.2022

Cécile Thiombiano Yougbaré s’est exprimée au Conseil de Sécurité de l’ONU, ce lundi 10 janvier 2022, au nom de la Coalition Citoyenne pour le Sahel, une alliance diverse et informelle d’organisations de la société civile. Elle présente alors une nouvelle approche de lutte contre la crise au Sahel, composée de quatre piliers citoyens.

Chaque année, le Sahel s’enfonce un peu plus dans une crise dont les populations sont les premières victimes.

 » Merci, Madame la Présidente, chers membres du Conseil,

Je saisis l’occasion de la nouvelle année pour vous présenter mes voeux les meilleurs !

Tout d’abord, je tiens à vous remercier et, plus particulièrement la présidence norvégienne, pour cette invitation faite à la Coalition citoyenne pour le Sahel et l’opportunité que vous me donnez de témoigner de l’impact de la crise au Sahel.

Je m’exprime ici en tant que citoyenne Burkinabé, pays actuellement et malheureusement au coeur d’une escalade sans précèdent de violences, et en tant que membre de l’association Médecins du Monde, qui fait partie de la Coalition citoyenne pour le Sahel.

Notre Coalition citoyenne est née du constat selon lequel la stratégie menée depuis 2013 pour tenter de mettre fin à la violence n’a pas permis de ramener la stabilité dans notre région. Au contraire, chaque année, le Sahel s’enfonce un peu plus dans une crise dont les populations sont les premières victimes.

En 2021, plus de 800 civils ont été tués au Mali, au Burkina Faso et au Niger, dans des attaques attribuées à des groupes armés non étatiques. D’autres civils sont morts dans des exactions attribuées à des forces de défense et de sécurité, qui sont en baisse mais n’ont pas complètement cessé. La violence est aussi alimentée par la multiplication des groupes d’autodéfense.

Les populations sont épuisées et les conséquences sont désastreuses : au Burkina, on estime qu’en 2022, 8 millions de personnes seront directement affectées par la fermeture ou la réduction des services sociaux de base, alors que 1,5 millions d’entre elles ont déjà été obligées de fuir leurs domiciles à la recherche de la sécurité.

53 % des personnes déplacées internes sont des femmes

En tant qu’humanitaire, j’observe tous les jours les effets dévastateurs :

  • Du manque d’accès aux soins de santé ;
  • De l’insécurité alimentaire, quatre fois plus importante en 2021 que ce qui était prévu en 2020 ;
  • De la déscolarisation de 500.000 enfants ;
  • Et surtout de l’explosion des violences basées sur le genre à l’encontre des femmes et des filles.

Au Burkina, 53 % des personnes déplacées internes sont des femmes. Parmi elles, trois sur quatre se disent survivantes de violences. Nos équipes médicales constatent une recrudescence des viols lors de leurs sorties avec les cliniques mobiles de Médecins du Monde.

Nous avons vu une femme, déplacée trois fois à cause des violences, arriver mutique auprès de nos équipes médicales, ne contrôlant plus ses membres, dans un état de maigreur extrême et ne pouvant cesser de pleurer.

Nous avons vu une jeune fille de 16 ans violée lors de l’attaque de son village par des hommes armés, faire face à une prise en charge médicale et psychologique inadaptée.

Nous avons vu tant de cas de dépression, idées suicidaires et insomnie que nos collègues ne les comptent plus mais qui sont autant de signes typiques du trouble de stress post-traumatique. Leurs patientes sont des femmes dans la grande majorité des cas.

En tant qu’association humanitaire de santé, nous sommes particulièrement préoccupés par les attaques contre les soins de santé. Rien qu’en 2020, 25 personnels de santé ont été tués au Burkina Faso et 6 ont été kidnappés ou blessés.

Ce qui m’inquiète aussi, c’est qu’après la peur et le désarroi des communautés, je vois monter la colère, qui s’exprime contre les autorités nationales et aussi contre des pays qui sont présents militairement dans la région, comme la France.

Il faut radicalement changer d’approche

Je me suis interrogée : comment on en est arrivé là ?

Parce que les priorités n’ont pas été mises dans le bon ordre. La réponse sécuritaire telle qu’elle a été menée n’a pas suffisamment pris en compte les besoins des populations. Et elle ne s’est pas suffisamment appuyée sur la société civile.

Pour que ces voix soient entendues, nous nous sommes réunis, avec 55 autres organisations très diverses, pour créer la Coalition citoyenne pour le Sahel. Nos organisations sont principalement issues du Mali, du Burkina Faso et du Niger), mais il y a aussi des groupes régionaux et des ONG internationales comme Médecins du Monde.

Ce qui nous réunit, c’est ce constat que la stratégie du tout sécuritaire a failli et qu’il faut radicalement changer d’approche. Et il faut le faire tout de suite.

Cette nouvelle approche que nous vous appelons à mettre en oeuvre, quelle est-elle ? Elle s’appuie sur ce que nous appelons les 4 piliers citoyens, et chacun d’entre eux est une invitation à agir. Nous les avons présentés en avril dernier dans le rapport « Sahel : Ce qui doit changer ».

Distingués diplomates !

C’est toute la communauté internationale, à commencer par les membres de ce Conseil, qui doit s’en saisir. C’est pourquoi je vous les adresse directement aujourd’hui.

Tout d’abord, les Etats sahéliens et la communauté internationale doivent placer les civils au coeur de la réponse à la crise.

C’est le pilier citoyen numéro 1. Les décisions politiques et les opérations militaires doivent prioriser la protection des civils.

Pour cela, il faut que les forces de défense et de sécurité sahéliennes et internationales fassent preuve de plus de transparence et de redevabilité dans la conduite de leurs opérations militaires.

Ensuite, vous devez assurer la mise en oeuvre d’une approche véritablement holistique, qui s’attaque aux causes profondes de la crise.

C’est le pilier citoyen numéro 2, qui se base sur le constat aujourd’hui partagé que la réponse anti-terroriste seule est vouée à l’échec.

Et pour cela, il va falloir aussi que des membres de ce Conseil, comme la France, laissent les sociétés sahéliennes décider de ce qu’elles veulent. Les sociétés doivent pouvoir décider qu’elles veulent faire du dialogue entre les parties un élément essentiel à la résolution de la crise actuelle.

Troisièmement, répondez à l’urgence humanitaire.

C’est le pilier citoyen numéro 3.

Il est indispensable de faire en sorte que les financements soient à la hauteur des besoins, et que l’accès humanitaire ne soit jamais entravé. C’est particulièrement crucial pour les femmes et les filles, car nous savons que 60% de la mortalité maternelle en contexte de crise est évitable. Le Dispositif Minimum d’Urgence en santé sexuelle et reproductive doit être financé et mis en oeuvre pour un accès effectif à des services de santé complets.

Je veux ici rappeler l’importance pour tous de respecter et faire respecter le droit international humanitaire et les principes d’impartialité, de neutralité et d’indépendance des acteurs de l’aide. Ces principes ne sont pas juste des concepts, ils sauvent des vies. Celles des civils et celles des humanitaires et du personnel de santé, qui sont en première ligne pour répondre aux besoins.

Enfin, luttez contre l’impunité.

C’est le pilier citoyen numéro 4. Parce que l’impunité alimente le cycle de la violence et favorise le recrutement par les groupes armés. Tant qu’elle prévaut, il sera impossible de rétablir la confiance entre les populations et les gouvernements. Or cette confiance est cruciale pour résoudre les crises au Sahel.

En tant que Burkinabé, j’ai froid dans le dos quand j’observe cette escalade de violence qui fait de mon pays un terrain de hautes crises. Et j’espère que vous aussi, hauts diplomates du conseil, avez froid dans le dos, car ces faits, réalités et vécus des populations dans les pays du sahel, vous les connaissez !

Nous demandons que les prochaines communications du Conseil de sécurité reflètent cette réalité, et soulignent que la lutte contre le terrorisme ne doit pas se faire au détriment de la protection des civils.

Mesdames et messieurs, les populations du Sahel ont besoin que le Conseil de sécurité entende la voix de la société civile sahélienne et les mette au coeur de sa réponse à la crise.

Je vous remercie de votre attention. « 

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  • Margaux Lesage Attachée de presse +33 (0)1 44 92 13 81 | 06 09 17 35 59