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Nantes, les liens qui soignent

17.11.2025

© Christophe da Silva

L’ESSENTIEL

À Nantes, Médecins du Monde propose des sorties et des groupes de parole pour favoriser l’entraide entre les personnes vivant à la rue, dans des squats ou des hébergements d’urgence, tout en améliorant leur accès à la santé.

  • 591 sorties

    organisées depuis le lancement du programme en 2021

591 sorties

organisées depuis le lancement du programme en 2021

Depuis 2021, Médecins du Monde mène un programme à Nantes pour favoriser l’entraide entre les personnes vivant dans des habitats précaires et répondre à leurs besoins en santé. Entre groupes de parole sans tabou et ateliers jardinage à la ferme, l’esprit de solidarité qui est né fait bouger les lignes.

« Laissez passer les stars de la ferme ! »

Un grand éclat de rire secoue Gloria qui se fraye un passage jusqu’au potager, lunettes de soleil sur le nez et bêche à la main. Elle n’a pas travaillé la terre depuis son départ du Congo-Brazzaville, il y a six ou sept ans peut-être, elle ne se souvient plus. À Nantes, elle a trouvé une petite chambre dans un hôtel social où elle vit avec des dizaines d’autres personnes, sans jardin à cultiver. Quand Médecins du Monde lui a proposé de participer à cet atelier, organisé par la Banque alimentaire dans une micro-ferme de permaculture, la quadragénaire a sauté sur l’occasion : « On respire ! On retrouve un peu de calme au contact de la nature et c’est du sport aussi : ça fait du bien au corps et à la tête. » Cinq femmes et deux hommes ont répondu à l’appel pour désherber, déterrer des pommes de terre, cueillir des herbes aromatiques et nourrir les poules, le temps d’une matinée loin du bruit de la ville.

La plupart des aspirants jardiniers se connaissent déjà grâce au programme 4i – ou Impact des lieux de vie informels, instables, insalubres et indignes sur la santé – lancé par la délégation Pays-de-la-Loire de Médecins du Monde en 2021 pour créer du lien entre les personnes vivant dans des habitats précaires et répondre à leurs besoins en santé, en particulier sexuelle et reproductive.

Depuis quatre ans, une équipe se déplace ainsi plusieurs fois par semaine dans des squats, des centres d’hébergement d’urgence et des hôtels sociaux de l’agglomération nantaise pour aller à la rencontre de leurs habitants et évoquer les problèmes qu’ils rencontrent. Des ateliers animés par une facilitatrice communautaire et des bénévoles sont ensuite mis en place directement sur les lieux de vie ou au local de Médecins de Monde. Les discussions sur les sujets de santé émergent au fil de l’eau. « Les activités de détente comme les ateliers de cuisine, de couture ou les visites de musées, sont proposées en complémentarité avec les groupes de parole autour de la contraception, du consentement, de l’avortement ou des maladies sexuellement transmissibles, explique Pauline Grelier, l’une des deux facilitatrices communautaires du programme. Dans les deux cas, l’idée est de créer du lien, mettre en commun les expériences et faire en sorte que la parole soit libre, avec la perspective d’aider les personnes à prendre le pouvoir sur leur santé. »

L’idée est de créer du lien, mettre en commun les expériences et faire en sorte que la parole soit libre, avec la perspective d’aider les personnes à prendre le pouvoir sur leur santé.

Parler en confiance

Le concept a fait mouche à Nantes. Depuis le lancement du programme, l’expertise acquise a permis par exemple d’attirer l’attention des institutions locales sur la situation des femmes enceintes et des femmes ayant récemment accouché à la rue ainsi que sur la prise en charge des enfants grandissant dans les hôtels sociaux. « Il nous a fallu du temps pour créer un véritable esprit collectif et ouvrir le champ des possibles, mais le projet est un succès aujourd’hui, à tel point que nous allons lancer en janvier 2026 une deuxième phase de cinq ans, se réjouit Sylvaine Devriendt, coordinatrice du programme 4I. Avec ce nouveau cycle, nous allons pouvoir poursuivre le projet autour de trois axes : les violences physiques et sexuelles, les grossesses non intentionnelles et le cancer du col de l’utérus. »

Pour approfondir ces nouvelles problématiques, l’équipe mise sur l’activité centrale du programme 4i : les groupes de parole du mercredi, organisés en non-mixité afin de favoriser un climat de confiance. Ce jour-là, le thème est libre et les huit femmes présentes jouent à un jeu de plateau sur la santé sexuelle et reproductive. Le dé roule sur la table et les questions s’enchaînent : « Le sida est-elle la seule maladie transmissible par voie sexuelle ? » ou « Il est interdit de poser un stérilet à une femme qui n’a pas eu d’enfants : vrai ou faux ? ». Les réponses donnent lieu à d’intenses débats sur les hépatites, les règles ou encore la contraception masculine, sans tabou ni gêne. « Le sujet de la santé sexuelle nous semblait difficile à aborder au début mais nous nous sommes vite rendu compte qu’il pouvait au contraire être fédérateur et permettre une grande libération de la parole, précise Sylvaine Devriendt. Les personnes qui viennent aux ateliers sont très curieuses d’en savoir plus sur leur santé pour mieux la maîtriser et s’impliquent de plus en plus dans les différentes activités. »

La force du collectif

Élément clef du programme, cette démarche communautaire va se renforcer encore davantage. Elle implique entre autres de penser les sorties et les thèmes abordés avec les personnes concernées, d’inclure des bénévoles pairs et d’identifier des relais communautaires sur les questions liées à la santé sexuelle et reproductive. Arrivée en France en 2021, Mwana participe activement aux réflexions sur les activités, jusqu’à co-animer parfois les ateliers : « J’ai appris énormément de choses avec Médecins du Monde, au contact d’autres femmes qui ont toutes une histoire différente, raconte la jeune femme. Je me sens respectée parce qu’on me fait confiance, pour aider et participer à de nouveaux projets comme la réalisation de vidéos pour les réseaux. » Pour promouvoir la santé et partager des informations fiables sur la contraception, le dépistage ou le consentement, l’équipe travaille en effet sur une stratégie de communication solide pour les réseaux sociaux, qui reposera sur la création de contenus animés et diffusées par les personnes concernées. Des stars, décidément.

  • Anne-Lys Thomas
Témoignage Témoignage Témoignage

Rafika, facilitatrice communautaire

« Quand je suis arrivée d’Algérie en 2018, je me suis vite retrouvée à la rue, enceinte. Après plusieurs mésaventures, j’ai atterri à l’hôtel social Sainte-Luce, dans une chambre de 9m2 à partager avec trois autres personnes. Je me suis progressivement repliée sur moi-même. Quand l’équipe de Médecins du Monde est venue toquer à la porte, j’ai d’abord pensé qu’ils venaient pour me soigner parce que j’étais enceinte. Je me suis sentie en sécurité avec eux et j’ai raconté pour la première fois tout ce qui m’était arrivé, on m’a écoutée. Petit à petit, je suis sortie de cette chambre-prison pour apprendre le français et participer aux ateliers sur la santé sexuelle. J’ai trouvé ma place chez Médecins du Monde en tant que bénévole avant de devenir facilitatrice communautaire en avril 2024. J’aide aujourd’hui des femmes qui sont dans la même situation que moi il y a quelques années. Nos ateliers de parole permettent de faire des rencontres riches, de partager des bons plans pour la vie quotidienne, de raconter des histoires difficiles et d’aborder des sujets liés à la santé sexuelle sans gêne. Le plus important, c’est de s’entraider et de se faire confiance ! »