Mayotte : reconstruire et se reconstruire
30.06.2025

En s’abattant sur Mayotte le 14 décembre dernier, le cyclone Chido a balayé l’archipel et causé des dégâts considérables, matériels et surtout humains, aggravant au passage une précarité déjà record. Face aux difficultés d’accès aux soins et aux immenses besoins psychologiques, l’équipe de Médecins du Monde sur place a adapté son programme de médiation en santé pour répondre à l’urgence.
La chaleur est écrasante. Les rues étroites de Mamoudzou se remplissent progressivement malgré l’heure matinale. Les passants enjambent par endroits quelques débris empilés sur le bord des routes, mais à première vue, on pourrait penser que le département français s’est reconstruit et ne porte plus les stigmates de la catastrophe naturelle. Pourtant, si on ouvre l’œil, on remarque très vite les panneaux chancelants, les bateaux échoués au bord du canal du Mozambique, les lettres envolées sur les enseignes des magasins et des bâtiments institutionnels. À proximité de la gare maritime, une décharge déborde de débris provoqués par les destructions du cyclone, véritable monstre de déchets, de tôles, d’appareils ménagers inutilisables et de carcasses de voitures. Autant de signes qui révèlent l’ampleur des dégâts bien que la nature, luxuriante, masque en partie les dommages matériels, six mois après la catastrophe. Non, la reconstruction n’a pas eu lieu. Et les séquelles du cyclone sont encore bien vives.
Si l’intégralité de l’île a été affectée par des inondations, des coupures d’électricité et des difficultés d’accès à l’eau et à la nourriture pendant quelques semaines, c’est pour les habitants des bidonvilles sur les hauteurs de Mayotte que les conséquences sont les plus lourdes. Après être intervenue auprès d’un très vaste public lors de maraudes soignantes sur les mois qui ont suivi Chido, Médecins du Monde a recentré ses actions auprès de ces populations particulièrement vulnérabilisées il y a près d’un mois, à Longoni et Dzoumogné.
La réalité après le choc
Ahmed, la soixantaine, vit avec sa famille dans l’un des plus hauts bangas du quartier de Dzoumogné. Assis sur le sol de cette case en tôle de 4m² à peine, tout juste reconstruite, il témoigne : « Le plafond était arraché. Moi qui n’ai plus peur de rien, j’ai cru que les tôles allaient me tomber sur la nuque et me tuer sur le coup ». C’est surtout dans les esprits que Chido reste un traumatisme. Tout est allé si vite. La veille du cataclysme, les abris n’étaient pas opérationnels et les alertes ne sont pas parvenues aux populations les plus éloignées du fourmillement des villes. Beaucoup se trouvaient chez eux, d’abord stupéfaits puis effrayés par la force du vent et les destructions massives. Aujourd’hui accompagné par Médecins du Monde, Ahmed est amputé d’une jambe et souffre de plusieurs maladies chroniques. « Après le cyclone, je suis resté un mois sans traitement pour ma tension. J’ai pris les médicaments d’un ami, mais je ne pouvais pas en prendre tous les jours », se souvient-il. Aux difficultés d’accès aux soins s’ajoute le manque de nourriture. « Il arrivait qu’Ahmed n’ose pas prendre ses traitements parce qu’il n’avait pas mangé : il vivait avec un repas par jour, le soir. Les aides et les distributions alimentaires n’arrivaient pas jusqu’à lui », complète Mohammed El-Hadi Moiouya, travailleur social chez Médecins du Monde.
Aujourd’hui, l’équipe le rencontre directement chez lui car ses vertiges l’empêchent de descendre les raides chemins de terre qui mènent à la permanence médico-sociale bimensuelle de l’association. Dès que l’équipe a réussi à reprendre contact avec lui, comme avec d’autres bénéficiaires, la superviseuse santé a immédiatement trouvé un rendez-vous avec des spécialistes afin qu’Ahmed intègre de nouveau le système de soin.
Chido a été révélateur des dysfonctionnements et des problématiques qui étaient déjà présentes sur le territoire mahorais.
Difficile réparation
Après le drame, la priorité a été de se mettre à l’abri. Les difficultés d’accès à l’eau et d’alimentation sont venues ensuite. « Ces problèmes qui étaient déjà présents depuis trois ans ont été aggravés, regrette Géromine Gouleau, médiatrice en santé de Médecins du Monde à Mayotte. C’était très compliqué de trouver de l’eau potable. On a craint la recrudescence de nombreuses maladies hydriques comme le choléra ».
Dans ce contexte, Médecins du Monde mène un programme de médiation en santé et de sensibilisation aux risques de maladies hydriques, dont l’un des axes principaux est d’aller vers les personnes en rupture de soin. « Nous cherchons à maintenir le lien, créer un contact et s’assurer qu’elles puissent retrouver un accès vers le soin », explique Géromine.
La tâche s’avère compliquée. Les centres de santé de l’île sont peu nombreux et souvent débordés par manque de soignants, et les consultations payantes trop chères pour ces personnes qui gagnent moins d’un euro par jour. À ces difficultés s’ajoute l’augmentation du nombre de contrôles policiers aux alentours des centres de santé depuis le passage du cyclone. La crainte de l’expulsion est permanente alors même que Chido a détruit tous les biens de ceux qui avaient déjà peu, jusqu’aux papiers nécessaires pour les personnes en démarche de régularisation. « Chido a été révélateur des dysfonctionnements et des problématiques qui étaient déjà présentes sur le territoire mahorais », déplore Géromine.
La présence associative est aujourd’hui une nécessité sur l’île. « Ce n’est que grâce à Médecins du Monde que je peux me rendre à l’hôpital et avoir accès à mon traitement, je ne pourrai pas me faire soigner ni soigner mes enfants autrement », soutient Saindou, mère de famille suivie régulièrement par les équipes de Médecins du Monde. Malgré les difficultés, salariés comme bénévoles pairs restent mobilisés, conscients de l’intérêt collectif de leur mission. Dans les mois à venir, ils déploieront des actions de soutiens en santé sexuelle et reproductive et en santé mentale. Parce que la reconstruction de Mayotte doit aussi passer par la reconstruction de ses habitants.
- Juliette Ratto
L’essentiel
À Mayotte, depuis le cyclone Chido, Médecins du Monde mène un programme de médiation en santé et de sensibilisation aux risques de maladies hydriques. L’association développe également une réponse humanitaire en santé mentale et en droits et santé sexuels et reproductifs.
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maraudes
ont été réalisées sur le terrain depuis le passage du cyclone Chido.
Mohammed El-Hadi Moiouya, travailleur social
« Mayotte est le 101e département français, c’est aussi le plus pauvre. C’est un laboratoire de politiques sociales restrictives et dysfonctionnelles, où les prestations ne sont pas alignées sur celles des autres départements. Dans ce contexte, le cyclone Chido a été dévastateur. Un bouleversement tant matériel qu’institutionnel, politique et social.
Les personnes que nous rencontrons en maraude dans les bidonvilles ou lors des permanences médico-sociales sont encore terriblement marquées, près de six mois après. Les séquelles se lisent sur leurs visages. Elles ont perdu des proches, leur logement, peinent à accéder à l’eau. Face à cette détresse, les autorités ont pour unique réponse la répression des droits : le droit du sol vient par exemple d’être restreint à Mayotte, une exception en France.
L’intervention de Médecins du Monde à Mayotte est cruciale. Nous allons vers les personnes qui ne reçoivent aucune considération de l’État. L’association ne fait pas de distinctions : tout le monde doit avoir le droit d’être soigné, orienté ou accompagné. »
