Cisjordanie : « Notre plus grande crainte n’est pas seulement de perdre nos foyers, mais aussi notre histoire, notre identité et notre avenir. »
24.09.2025

© Alaa Ali Abdallah
Alors que la France vient de reconnaître l'État palestinien et que la communauté internationale poursuit la réflexion sur une solution à deux États, l'annexion de la Cisjordanie s'accélère. Violences, harcèlement, démolitions, expropriations : la population vit dans la crainte permanente.
Comment faire État sans territoire ? Et comment tenir mentalement dans un contexte de violence et d’incertitude ? Travaillant chaque jour auprès des communautés affectées, notre équipe de santé mentale témoigne de cette réalité.
Témoignages du terrain
“La peur fait partie du quotidien des personnes vivant sous occupation. Les familles sont confrontées à une insécurité et une instabilité constantes. Elles savent que des incursions militaires ou des déplacements forcés peuvent survenir à tout moment. Elles craignent avant tout que leurs enfants soient blessés, arrêtés ou agressés. Cette peur conditionne tous les aspects de leur vie, de leurs routines quotidiennes à leur vision de l’avenir.”
Témoignage d’un travailleur social de MdM opérant dans le camp d’Aqbat Jabr
“Nous sommes allées chercher quelques affaires et vérifier l’état de la maison. Avant notre arrivée, l’armée a commencé à nous tirer dessus, et ma mère a été touchée. Je me suis mise à pleurer en suppliant : ‘Ne me fais pas ça, ne meurs pas’. »
Témoignage d’une jeune fille accompagnée par MdM, déplacée de force du camp de Jénine vers le village de Birqin

“L’armée ne cesse de répéter aux civils : “nous reviendrons”. Elle le dit aussi aux enfants. Elle essaye toujours de maintenir la population sous pression, de la faire vivre dans la crainte permanente du retour de l’armée et de la prochaine incursion. Tous ces éléments plongent la population dans un état permanent de stress et de tension, dans l’attente de la prochaine descente.”
Témoignage d’un travailleur social de MdM opérant auprès des communautés de réfugiés des camps de Jénine, Tulkarem, Nur Shams et Al Fara
“Nous constatons une forte régression dans le développement des enfants, notamment chez ceux ayant atteint certaines étapes comme la séparation avec leurs parents ou le fait de dormir seul dans leur chambre. Par exemple, des enfants qui étaient capables d’aller aux toilettes tout seul font désormais pipi au lit.”
Témoignage d’une psychologue de MdM opérant dans le camp d’Al Fawwar
“Nous sommes intervenus auprès d’une vieille dame que les forces israéliennes ont blessée au cou avec une arme à feu. Elle a 73 ans. Ils ont été très agressifs et violents avec elle. Cette dame ne possédait que deux robes chez elle, très précieuses et datant des années 1970. Les soldats les ont prises et les ont déchirées devant elle. »
Témoignage d’un travailleur social de MdM opérant auprès des communautés de réfugiés des camps de Jénine, Tulkarem, Nur Shams et Al Faraa
“Les interventions en matière de santé mentale et psychosociale devraient être effectuées après les attaques.
Le problème, c’est qu’ici en Palestine les incidents ne cessent jamais. Les attaques sont permanentes et les mêmes violences se répètent sans cesse.”
Témoignage d’une travailleuse sociale de MdM opérant auprès des communautés de réfugiés des camps de Nur Shams et Al Faraa
“Lors des descentes militaires, il arrive parfois que les parents ne soient pas auprès de leurs enfants pour les protéger.
Imaginez à quel point cette séparation peut être difficile. La fréquence et l’imprévisibilité des attaques rendent cette expérience particulièrement angoissante pour toute personne susceptible d’être séparée de ses proches à tout moment.”
Témoignage d’un travailleur social de MdM opérant au camp d’Al Fawwar

“Lors de la première journée d’intervention après l’attaque du camp de Nur Sham, nous avons rencontré les parents d’une fillette de cinq ans. Les forces israéliennes sont entrées dans sa maison et ont tiré à l’intérieur. Elle s’était cachée sous la couverture de son lit et y est restée pendant trois jours sans manger, ni parler. Elle ne parle toujours à personne. Ils sont entrés dans sa chambre et ont tiré à l’intérieur. Le bruit des armes à feu est puissant et terrifiant.”
Témoignage d’une travailleuse sociale de MdM opérant à Nur Sham
“Les soldats israéliens ont tué des Palestiniens et ont laissé leurs corps gisant dans la rue pendant deux ou trois jours, empêchant quiconque, y compris les ambulances, de les toucher ou les emporter. Les voisins ont même essayé d’intervenir mais les tireurs d’élite ont pointé leurs lasers pour les dissuader. Les voisins ont vu des chiens venir manger les corps.”
Témoignage d’une travailleuse sociale de MdM opérant auprès des communautés de réfugiés dans les camps de Jénine et Tulkarem
“Bien que les enfants n’aient pas été témoins de la démolition en elle-même, ils tiennent absolument à retourner sur les lieux, une fois conscients de la situation. Ils posent des questions difficiles : “Pourquoi la maison est détruite ? Pourquoi l’ont-ils emportée ? Pourquoi ne pouvons-nous pas y retourner ?” Les parents répondent que l’endroit n’est plus sûr. Les enfants tentent de comprendre des événements que même les adultes ont du mal à expliquer.”
Témoignage d’un travailleur social de MdM opérant dans le camp d’Aqbat Jabr
“Si rien n’est mis en place pour protéger les habitants de Gaza, il ne se passera rien pour nous, en Cisjordanie. Nous souhaitons la fin de toutes ces attaques, mais aucun gouvernement ne met un terme aux atrocités de masse perpétrées à Gaza. C’est pour cela que nous savons qu’il n’y a aucun espoir pour la Cisjordanie.”
Témoignage d’une travailleuse sociale de MdM opérant auprès des communautés de réfugiés dans les camps de Jénine et Tulkarem
