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Tribune : mettons fin à la violence et à l’inhumanité

Articles 04.02.2022

Ce vendredi 4 février, Le Monde publie une Tribune pour mettre fin à « la politique qui ne génère que maltraitance et violence », créée par les accords du Touquet.

TRIBUNE.

Depuis plusieurs décennies, des hommes, des femmes et des enfants originaires d’Europe de l’Est, de l’Afrique de l’Est, du Moyen-Orient ou d’Asie du Sud-Est, toutes et tous en recherche de protection, survivent sur le littoral de la Manche et de la Mer du Nord. La plupart de ces personnes exilées présentes sur nos côtes n’ont qu’un seul objectif : franchir – par tous les moyens – la frontière qui se dresse devant elles et qui les empêche de rejoindre le Royaume-Uni.Il y a 19 ans, le 4 février 2003, à la suite de la fermeture du centre de Sangatte et dans le prolongement du Traité de Canterbury du 12 février 1986, la France et le Royaume-Uni signent le Traité du Touquet. La frontière britannique est externalisée sur le sol français moyennant des financements de la Grande-Bretagne. La France devient le “bras policier” de la politique migratoire du Royaume-Uni pour empêcher les personnes exilées de traverser la Manche.

Sur les côtes françaises, les autorités mettent en œuvre une politique de lutte contre la présence des personnes exilées et d’invisibilisation de celles-ci. Les maltraitances quotidiennes qu’elle implique sont nombreuses : expulsions de lieux de vie, confiscation d’affaires, maintien à la rue en l’absence de services permettant de couvrir leurs besoins fondamentaux, entrave à l’action des associations, etc.

Cette politique n’est pas seulement indigne et inacceptable, elle est également mortelle : au moins 342 personnes ont perdu la vie à la frontière franco-britannique depuis 1999 dont 36 en 2021.

La poursuite année après année de cette politique inhumaine, la répétition de ces maltraitances et de ces drames pourraient nous pousser au fatalisme. Au contraire, nous agissons pour l’amélioration de la situation, pour le respect des droits et de la vie des personnes en exil. C’est dans cet esprit que la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s, dont nous sommes membres ou que nous soutenons, a demandé à l’anthropologue Marta Lotto et au politologue Pierre Bonnevalle d’enquêter, pour l’une, sur les conditions de vie des personnes en transit[1], et pour l’autre, sur la gestion par les autorités françaises de la présence des personnes exilées à la frontière[2]. Leurs analyses fines nous permettent une compréhension globale de la situation et nous contraignent, nous citoyens, à mettre les autorités face à leurs responsabilités et à leur imposer la mise en œuvre d’une politique alternative.

En effet, Marta Lotto, dans son rapport, nous indique que les raisons pour lesquelles ces personnes sont à Calais, Grande-Synthe, Ouistreham ou, pour d’autres, moins nombreuses, à Norrent Fontes, Steenvoorde ou Cherbourg, sont diverses. Certaines ont démarré leur parcours migratoire avec l’objectif de vivre en Grande-Bretagne ; après un périple de quelques jours ou de plusieurs années, elles se retrouvent bloquées aux portes de leur rêve. D’autres, au contraire, n’ont jamais imaginé aller en Grande Bretagne mais les circonstances de leur parcours les ont conduites aux portes de ce pays, qui est alors devenu le dernier recours face aux rejets auxquels elles ont été confrontées ailleurs en Europe.

Depuis 30 ans, sans cesse, parce qu’elles veulent rejoindre leur famille, parce qu’elles sont anglophones ou parce qu’elles nourrissent de vains espoirs d’accéder à une vie meilleure, des personnes tentent de franchir les quelques dizaines de kilomètres qui les séparent de la Grande-Bretagne. En dehors de la parenthèse 2015-2016, quand le tumulte du monde a poussé plus d’un million de personnes vers l’Europe, et une partie d’entre elles vers la Grande-Bretagne, il y a toujours eu entre 1000 et 3000 personnes en transit bloquées à la frontière.

Et pourtant, ce n’est pas faute, pour les autorités françaises et britanniques d’avoir tenu un discours de fermeté et mis en œuvre une politique de dissuasion. De manière très détaillée, le politologue Pierre Bonnevalle nous révèle que, depuis 30 ans, quels que soient les gouvernements, une seule et même politique est menée : rendre les territoires situés sur le littoral de la Manche et de la Mer du Nord aussi inhospitaliers que possible. Nous avons donc vu pousser des barrières et des barbelés, nous avons appris ce qu’était une concertina, ces barbelés couplés à des lames de rasoir. Nous avons vu des arbres abattus et des maisons murées. Nous avons aussi appris que mise à l’abri pouvait être synonyme d’expulsions violentes, et que la solidarité pouvait être un délit.

Atteintes toujours plus fortes à la dignité, violation des droits des personnes exilées et destruction de l’attractivité de nos territoires sont les seuls résultats de cette politique. Vient s’ajouter le reniement constant et systématique de nos valeurs, celles qui fondent notre vivre ensemble. N’est-elle alors que communication ? Une mise en scène pour montrer que l’État agit ? Mais qu’est-ce qu’une politique qui ne génère que maltraitance et violence ?

Face à ce constat d’un échec flagrant de la politique mise en œuvre à la frontière franco-britannique, face à la violence qu’elle engendre pour les personnes exilées, mais aussi pour toutes celles qui vivent sur ces territoires, nous devons, aujourd’hui, regarder la réalité en face. Pour que ces personnes vivent dans des conditions dignes, pour que nos territoires ne soient plus constellés de campements et de bidonvilles, pour que nos valeurs soient respectées, le paradigme des politiques publiques mises en œuvre à la frontière doit changer. Ces deux rapports, mais surtout les maltraitances qui s’exercent chaque jour sur notre sol, nous incitent à l’exiger.

Pour obtenir ce changement de modèle nous devons, ensemble, engager un dialogue citoyen réunissant l’ensemble des forces vives des territoires du littoral de la Manche et de la Mer du Nord et imaginer, collectivement, une politique respectueuse des droits de toutes et tous.

Nous appelons toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à nous rejoindre pour lancer cette dynamique de convention citoyenne à la frontière franco-britannique.

[1] On the border, la vie en transit à la frontière franco-britannique, Marta Lotto, 2022

[2] L’Etat français et la gestion de la présence des personnes exilées dans la frontière franco-britannique :

harceler, expulser disperser, Pierre Bonnevalle, 2022

Liste des signataires

  • La Cimade
  • La Ligue des droits de l’homme
  • Emmaüs France
  • MRAP Dunkerque
  • MRAP Littoral
  • Human Rights Observers
  • Solidarity Border
  • AMIS
  • L’Auberge des Migrants
  • Project Play
  • Médecins du Monde
  • Shanti
  • Collectif Faim aux Frontières
  • Migraction59
  • Utopia56
  • Salam Nord/Pas-de-Calais
  • ADRA France antenne de Dunkerque
  • Terre d’Errance Steenvoorde
  • CCFD Terre Solidaire
  • Safe Passage
  • ACCMV
  • Le Cercle de Silence Hazebrouck
  • ECNou
  • Emmaus Dunkerque
  • Maison Sésame
  • Refugee Women’s Centre
  • Secours Catholique Caritas France
  • Médecins sans frontières

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  • Margaux Lesage Attachée de presse +33 (0)1 44 92 13 81 | 06 09 17 35 59