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Lettre ouverte : 18 décembre, journée internationale des personnes migrantes

Articles 19.12.2023

© Eric Franceschi

Nous, bénévoles investis sur le programme de Médecins du Monde à la frontière franco-italienne à Briançon, pensons qu’il faut plus que jamais rendre audible les mots.

SOLIDARITE / ADELPHITɹ  / ACCUEIL

Nous sommes présents à Briançon depuis 2017 où la population locale assiste à l’arrivée de personnes en exil forcées d’emprunter les périlleuses routes de montagne en raison de la fermeture illégale des frontières. Face à la faillite des pouvoirs publics dans leur devoir d’accueil entrainant un drame humanitaire, nous sommes intervenus en soutien aux acteurs locaux de la solidarité, notamment Tous Migrants, mouvement citoyen luttant pour le respect des droits des personnes exilées et Refuges Solidaires association accueillant les personnes exilées qui viennent de traverser la frontière. Nous avons également avec l’hôpital de Briançon co-construit la prise en charge médicale des personnes venant de traverser la frontière. C’est de ce travail collaboratif, qu’est né le programme de Médecins du Monde de réduction des risques liés à la traversée de la frontière franco-italienne par les personnes exilées : maraudes en montagne, mise à l’abri, premier accès aux soins.

Nous sommes témoins de la grande solidarité qui se construit collectivement sur Briançon pour permettre cet accueil, possible uniquement grâce à ces mouvements militants et citoyens. En effet, les autorités publiques locales restent sourdes aux différentes interpellations des collectifs et persiste à appliquer une politique migratoire délétère pour la dignité et la santé des personnes, dans un déni quotidien de leurs droits fondamentaux.

Ces derniers mois à Briançon illustrent parfaitement le durcissement national en cours, la volonté de ne pas accueillir et la violence au quotidien pour les personnes exilées qui tentent de rejoindre ou de s’installer en France.

Crise de l’accueil

Durant l’été dernier, les passages de la frontière franco-italienne ont été plus nombreux. Fin août 2023, Refuges Solidaires n’a plus été en mesure d’accueillir dignement les personnes exilées (200 à 250 personnes pour 81 places disponibles), et le bâtiment a fermé ses portes pour une durée d’environ 2 mois. Les solidaires se sont organisés pour continuer à assurer un accueil, par des actions hors les murs, par des points informations, par l’ouverture d’un squat.

Les interpellations de la préfecture pour la mise en place d’un centre d’hébergement d’urgence complémentaire restent vaines. Seule réponse apportée par le préfet : « Dans le contexte d’augmentation des flux migratoires que connait actuellement le département des Hautes-Alpes, il ne fait aucun doute que la réduction du nombre de passages illégaux à la frontière est le seul moyen d’agir efficacement sur la situation que connaît le Briançonnais. L’Etat fait ainsi sa part, s’assurant du bon respect des lois et règlements en vigueur en matière d’entrée sur le territoire national². »

Renforcement de la militarisation de la frontière

Depuis plusieurs mois, le maire de Briançon, M. Arnaud Murgia demandait un renforcement des forces en présence à la frontière : ainsi dès le 15 mai 2023, il demande au gouvernement « d’expérimenter l’unité spéciale Border Force » dans le Briançonnais pour surveiller davantage les flux migratoires. Le 21 septembre, l’arrivée de 84 effectifs de gendarmeries est annoncée, en renfort des deux escadrons de gendarmerie (140 gendarmes) en place depuis octobre 2021. Ce n’est pas faute de répéter depuis des années que les politiques migratoires répressives sont dangereuses, inefficaces et coûteuses. Les personnes exilées finiront toutes par passer même s’il faut tenter plusieurs fois le passage en empruntant des trajets de plus en plus dangereux après plusieurs refoulements à la frontière vers l’Italie. Ces refoulements augmentent les prises de risques et les dangers de façon exponentielle pour échapper aux contrôles.

Conséquences : les personnes arrivent épuisées, exténuées après de longues heures de marche, avec des entorses ou des fractures, avec des plaies surinfectées et aggravées. Sans oublier l’impact psychologique que peut provoquer cette traversée dans un milieu hostile, souvent de nuit, en se sachant poursuivies par ceux et celles qui devraient, selon la loi, veiller au respect de leurs droits et de leur intégrité. Cette situation, qui soumet leur psychisme à une violence externe supplémentaire, favorise la décompensation des troubles post traumatiques, anxieux et dépressifs que nous observons à leur arrivée.

Et puis, il y a les décès, 3 entre le 7 août et le 29 octobre. Difficile de ne pas faire le lien entre renforcement de la frontière, évitement des contrôles et mises en danger des personnes.

Interpellations et arrestations en ville

Après la fermeture des Terrasses Solidaires et le début des activités hors les murs de Refuges Solidaires, des personnes exilées se sont retrouvées dans la rue à Briançon, contraintes de dormir sur le quai de la gare. Une première à Briançon depuis 2017 où l’hébergement a été assuré sans interruption par les solidaires. Et si les demandes d’hébergement d’urgence auprès de la préfecture restent toujours sans réponse, les forces de l’ordre étatique sont à l’oeuvre dans les rues de Briançon : elles interpellent, arrêtent, administrent des Obligations de Quitter le Territoire Français et envoient, pour certains, en Centre de Rétention Administrative. La frontière s’étend ainsi jusque dans les rues de Briançon : pas de répit pour les personnes exilées. Les policiers et les gendarmes ont été très actifs deux semaines du 25 septembre au 6 octobre 2023, pour montrer que l’Etat veille et que tout n’est pas permis à Briançon. « J’appelle plus que jamais le préfet et l’Etat à renforcer les contrôles à la frontière et à faire exécuter les OQTF pour sortir de cette situation que notre ville n’a pas voulue et ne veut toujours pas. »³

Criminalisation d’un lieu d’habitat informe

Un squat s’est ouvert le 7 août 2023 pour répondre aux besoins d’accueil des personnes exilées. Le squat se nommera PADO car peu de temps après l’ouverture, la compagnie publique de gestion des eaux de Briançon, dont le président est le Maire, coupera volontairement son accès aux occupants de ce lieu. Depuis ce jour, la désinformation prend le dessus. On ne parle pas de revendications politiques légitimes pour donner accès à un toit à des personnes sans-abri mais de militants «qui n’ont rien à voir ni avec l’associatif, ni avec l’humanisme, avec l’envie de désordre»⁴. On ne parle pas d’un droit fondamental d’accès à l’eau, mais d’insalubrité et d’insécurité. On ne parle pas de dégradation de l’état de santé des personnes vivant dans des habitats précaires sans eau, mais de personnes en situation irrégulière dégradant volontairement des locaux.

Le squat sera expulsé le mercredi 13 décembre pour motif de mise en péril, alors que la précarité de ces conditions de vie a été sciemment organisée par les pouvoirs publics afin de motiver la disparition de ce lieu indésirable. Expulsion réalisée en pleine trêve hivernale sans solution de relogement.

Ce contexte briançonnais des derniers mois ne dénote pas de l’actualité nationale autour du projet de loi Asile et Immigration. La logique est là : agiter les peurs, négliger les faits, broyer les âmes, piétiner le droit.

Nous, soignants, rappelons que nous recevons toutes les personnes sans distinction aucune et que nous exerçons dans tous les lieux où elles en ont besoin, y compris les lieux informels.

Pour cette journée du 18 décembre, il est plus que jamais nécessaire :

  • D’être en veille, de dénoncer les violations de droits et de mettre l’Etat face à ses responsabilités,
  • de maintenir des actions de réduction des risques à la frontière pour éviter de nouveaux drames,
  • de permettre un premier accès aux soins et une écoute pour les personnes exilées avant qu’elles poursuivent leur route ou qu’elles puissent s’installer en France et bénéficier d’une ouverture de leurs droits en santé,
  • de construire collectivement une réponse locale pour contrer une volonté politique de non-accueil,
  • de sensibiliser et d’informer la population de la situation à Briançon et de nos actions,
  • et aussi, de nous préserver pour continuer à « faire solidarité » !

¹Le terme d’adelphité, plus « neutre » et surtout plus inclusif, regroupe à la fois la fraternité et la sororité, sans dimension ni mention genrée ; et désigne la solidarité entre ses semblables, qu’ils soient hommes, femmes ou non binaires.

²Courrier de la préfecture datant du 28/09/23 adressé aux associations intervenant au sein des Terrasses Solidaires

³Communiqué de presse du Maire de Briançon Mr Murgia – 29/08/23

⁴Propos du maire de Briançon Mr Murgia dans le Dauphiné Libéré – 14/11/23

L’équipe de Médecins du Monde Programme Briançon

Aimele, médecin Sisteron
Alfred, médecin Paris
Anne, infirmière Sisteron
Antoine, infirmier Crest
Arwen, psychologue Nice
Baptiste, médecin Lyon
Bernard, médecin Marseille
Bertrand, médecin Gap
Carmen, infirmière Champsaur
Chloé, médecin La Rochelle
Corentin, médecin Chambéry
Danièle, infirmière Savasse
Dominique, infirmier Savasse
Hélène, infirmière Saint-André d’Embrun
Hélène, infirmière Grenoble
Jean-Luc, médecin Grenoble
Jean-Luc, médecin Gap
Justine, infirmière Valromey sur Séran
Isabelle, médecin Gap
Laura, infirmière Eygliers
Léa, médecin Annecy
Lena, médecin Paris
Lisa, Infirmière Briançon
Maria, infirmière Brest
Marie-Christine, médecin Gap
Marie-Elphège, infirmière Lorient
Marion, psychologue Briançon
Martin, médecin Lyon
Martine, médecin Gap
Mathilde, psychologue Marseille
Mélanie, bénévole Caen
Michèle, médecin Gap
Pomme, ostéopathe La Grave
Sylvie, bénévole Toulon